Cette brochure essaie de donner notre position philosophique sur le problème de l'euthanasie. Elle est aussi hebergée sur un autre site: www.cfjd.com .

PLAN 
 

AVANT-PROPOS 

INTRODUCTION 

1. UN MOT SUR L'OBJET ET LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE

    1. L'objet de la philosophie

    1.2.     Le rôle du philosophe 
     

2. DEFINITION DE L'EUTHANASIE ET SES PRESSUPOSES

   PHILOSOPHIQUES 

    2.1. Définition de l'euthanasie

    2.2. Présupposés philosophiques

      2.2.1.  Incidences anthropologiques

      2.2.2.  La philosophie de la société pro-euthanasique

3.  ARGUMENTS PRO-EUTHANASIE ET LEUR CRITIQUE

    3.1. Le principe de bienfaisance

    3.2. Le principe d'autonomie 
     

4. QUELLE SOLUTION ? OPTION POUR LES SOINS PALLIATIFS ET LEUR

    PHILOSPHIE 

    4.1. Soins palliatifs

    4.2. La philosophie des soins palliatifs

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

AVANT-PROPOS 

           C'est avec une grande joie, que je livre au publics le résumé de ce qui a été mon intervention radio-télévisée sur l'euthanasie. en effet, le 18/08/2002, la Télévision privée Mosaïque de Lubumbashi a transmis le document sur l'euthanasie et j'intervenais en tant que philosophe. Un mois avant, à savoir le 18/07/2002, le Groupement congolais des Omnipraticiens m'avait invité à leur première journée sociale et éthique et j'y ai parlé non seulement de la conscience et de l'avortement, mais aussi de l'euthanasie. La Radio  Télévision Nationale congolaise (RTNC en sigle) m'a invité, dans son émission radiodiffusée Le Cercle  animée par le journaliste philosophe KAUMBU Bien Venu Lewis pour parler de l'Euthanasie. Ainsi le 21/09/2002, le 05/10/2002 et le 19/10/2002, de 15h à 16h, j'ai parlé de l'euthanasie et le présent texte en est le résumé. Résumé parce qu'il ne dit pas tout et n'aborde pas, par exemple, le problème de l'eugénisme (positif ou négatif) ou l'avortement eugénique (euthanasie prénatale) qui fut soulevé par les auditeurs. Le débat sur le serment d'Hippocrate originel et réactualisé n'apparaît pas dans le présent texte. 

           Le cours d'anthropologie philosophique que je dispense au Grand Séminaire Interdiocesain Saint Paul de Lubumbashi/Philosophat de Kambikila depuis 1999 est à l'origine de mon présent exposé et de mon discours sur l'euthanasie. Quand je parle aux étudiants de la dimension de l'homme comme un être – pour – la – mort, je les invite à réfléchir sur le sens de la vie, de la souffrance et de la mort. Je les convie à méditer sur la façon dont l'homme doit mourir dignement. Ainsi nous touchons à l'euthanasie. Quand bien même, à la fin, je devrais leur rappeler la Parole divine interdisant le meurtre, je commence par réfléchir philosophiquement sur cette dimension anthropologique qu'est la mort. Voilà pourquoi le présent texte, comme cela fut le cas avec les interventions radio-télévisée, s'adresse à tout être humain, croyant, indifférent ou athée. Je m'adresse à la raison humaine et je le fais avec ma raison nourrie par la foi, car je suis un philosophe prêtre catholique. Toutefois les affirmations m'engagent philosophiquement. Ceci pour dire que cet écrit est un débat philosophique, mais je le fais à partir d'un lieu théorique et pratique donné. 

           Je remercie le Docteur Maurice CAILLET qui m'a toujours encouragé à écrire sur l'euthanasie et qui verra en ce texte le fruit de notre rencontre. Il n'a pas manqué de me donner l'adresse de l'un ou l'autre qui semble être plus informé sur le sujet.  

           Que le professeur NKETO MUMBA des Facultés Catholiques de Kinshasa trouve en ce texte ma reconnaissance à son égard, car, dans son cours de Questions approfondies  de l'anthropologie philosophique (1998-1999), il nous incitait à déceler les présupposés anthropologiques de toute pratique et nous poussait aussi à prévoir les incidences anthropologiques de tout discours. C'est cela que j'ai appliqué quant à ce qui concerne la pratique de l'euthanasie et sur son discours. 

           Je sais que mon texte qui se veut une approche philosophique de l'euthanasie reste  un écrit limité qui demande d'autres recherches. Les critiques sont les bienvenues. Toutefois il est bon qu'elles soient argumentées. 

           Ce texte a le mérite d'être parmi les premiers qui soient écrits au Congo-Kinshasa sur l'euthanasie et qui l'abordent philosophiquement. 

           Si cet écrit peut aider l'une (e) ou l'autre à changer sa façon de concevoir la vie et la mort, et qu'il le convainc à ne pas pratiquer ou souhaiter l'euthanasie, alors il aura atteint son but. C'est à Dieu YHWH, à Jésus-Christ mon Sauveur et à l'Esprit Saint mon Consolateur que je laisse le soin de faire porter ce fruit. Ce souhait fut aussi la dernière parole que j'ai prononcée à la RTNC à la fin de l'émission radiodiffusée. 

           Ecrit, je te souhaite un bon séjour chez tous tes lecteurs. Je ne te renie pas, je reste toujours ton père. 
 
 
 

INTRODUCTION 

           L'euthanasie est à la mode. Les Radios périphériques en parlent. C'est tout une culture qui naît et l'euthanasie est devenue dans certains pays un acte culturel et non médical. 

           S'il en est ainsi pour certains pays dits développés du Nord, mon pays, à savoir la République Démocratique du Congo, ne légalise pas l'euthanasie et pourtant, elle se fait sous une forme ou une autre dans nos hôpitaux. Certains de nos auditeurs semblaient entendre pour la première fois cette notion. Voilà qui révèle combien mon peuple vit une certaine ignorance.

           Sachant que le philosophe est celui qui est aussi sensible à ce qui se passe dans son pays et autour de lui, j'ai voulu aborder l'euthanasie sous un angle philosophique. Ainsi le premier chapitre est un mot sur l'objet et le rôle de la philosophie. La philosophie ne doit pas laisser seulement à la théologie, à la médecine et au droit le droit de s'approprier le discours sur l'euthanasie. Le second chapitre donne les présupposés philosophiques de la pratique euthanasique et propose la définition de l'euthanasie. Le troisième chapitre n'est rien d'autre qu'un champs de bataille  où s'affrontent les arguments pro – et – anti – euthanasie. Je ne manque pas non plus de donner les causes ou motifs qui sont à la base de la demande de l'euthanasie. le quatrième et dernier chapitre donne mon option qui est celle des soins palliatifs et je livre aussi la philosophie qui alimente cette pratique qui remet en question l'euthanasie et qui tourne le dos à l'acharnement thérapeutique. 
 

1. UN MOT SUR L'OBJET ET LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE 

           Un auditeur m'a posé la question de savoir si la philosophie a la légitimité de parler de l'euthanasie. Je pense que tout philosophe, et cela à la suite de Karl MARX, doit faire de l'adage de Térence sa maxime préférée: "Rien de ce qui est humain ne m'est étranger". Voilà qui justifie, en dernière instance, la présence du philosophe. Voilà qui rend aussi suspect le philosophe. Puisque rien de ce qui est humain ne lui est étranger, le philosophe a quelque chose à dire sur ce qui concerne l'homme. Mais, nous prévient Maurice Merleau-Ponty, "on ne peut pas attendre d'un philosophe qu'il aille au-delà de ce qu'il voit lui-même, ni qu'il donne des préceptes dont il n'est pas sûr"1. Autrement dit, le philosophe est un être situé et parle à partir d'un lieu théorique et pratique donné. 

           C'est en se comprenant comme un être limité que le philosophe se rend compte de l'immensité de l'objet de la philosophie. 

    1. L'objet de la philosophie

 

           La philosophie, comme toute discipline, a un objet même si le dernier à le lui refuser parmi les philosophes congolais est F.-B. MABASI BAKANABA2 

           Comme objet matériel de la philosophie, nous avons la totalité du réel. Autrement dit, tout ce qui est, visible et invisible, intéresse le philosophe. Toutefois, dois-je le reconnaître humblement, chaque philosophe ne philosophera que sur une partie de cette totalité du réel. Le vécu humain fait partie d'une des parties de la totalité du réel. 

           Je sais que l'expression "totalité du réel" dérange et contrairement à ce que pense Ngoma-Binda, cette expression n'est pas fallacieuse.

Il y a neuf ans, Ngoma-Binda affirmait avec fracas que l'arbre, la pierre et la sauterelle étaient indignes d'attention philosophique3. Devant le déboisement, le philosophe resterait-il insensible? Serait-il indifférent si les sauterelles provoquaient la famine en République Démocratique du Congo? Vivant en symbiose avec la nature, l'homme doit harmoniser ses relations avec toutes les créatures. Cela le contraint à réfléchir, à prendre position, "car philosopher, c'est chercher, c'est impliquer qu'il y a des choses à voir et à dire"4 et que rien n'est indigne au voir et au dire.

           Le philosophe, se trouvant devant la totalité du réel, considérera celle-ci sous un angle ou sous un point de vue qui lui est propre, à savoir le point de vue philosophique. Cet angle est ce que nous appelons objet formel. Illustrons cela par le cas de l'euthanasie. cette dernière, étant une des parties de la totalité du réel, est un objet matériel auquel des sciences comme la médecine, le droit, la théologie, etc. s'intéressent. Mais chacune d'elles a "sa façon" d'aborder l'euthanasie. en d'autres mots, chaque science ou discipline a son propre angle à partir duquel elle voit ou parle de l'euthanasie. Ainsi l'approche philosophique (objet formel) qui est le nôtre est rationnelle. C'est à partir de l'instrument "raison" que j'aborderai l'euthanasie. Ceci revient à dire que je réfléchirai sur la pratique appelée euthanasie. J'essaierai de voir les "pourquoi/parce que" qui sont à la base de cette pratique. Je serai à la chasse des causes (premières). Les voyant à partir d'un lieu théorique et pratique donné, il va de soi que mon regard n'est pas parfait. Il est discutable. Voilà qui fait que la philosophie soit tolérante, car la vérité est toujours devant ceux qui discutent philosophiquement. La recherche continue. Est-ce sa faiblesse devant la Théologie? 

           Puisqu'il en est ainsi de l'objet de la philosophie, quel est alors le rôle du philosophe? 

1.2. Le rôle du philosophe 

           La philosophie a une mauvaise presse et cela date de longtemps. Il suffit de lire Platon pour se rendre compte des préjugés sur la philosophie. Pensons aussi à la servante qui s'est moqué de Thalés tombé dans un puits à force de regarder les étoiles. A ce propos Louis Althusser fait remarquer que la servante avait mal jugé, car le puits donnait la possibilité de bien voir les étoiles. Le puits remplaçait nos télescopes. Dans le Gorgias de Platon, nous voyons Galliclès ridiculiser le fameux Socrate: "La philosophie, Socrate, n'est sans doute pas sans charme, s'y [sic] l'on s'y livre avec modération dans la jeunesse; mais si l'on s'y attarde au delà d'une juste mesure, c'est une calamité. Quelque bien doué que soit un homme, s'il continue à philosopher dans son âge mûr, il est impossible qu'il ne se rende pas étranger à toutes les choses qu'il faut connaître pour devenir un homme bien élevé et considéré. Le philosophe ignore les lois qui régissent la cité; il ignore la manière dont il faut parler aux autres dans les affaires privées et publiques; il ne sait rien des plaisirs ni des passions, et pour tout dire d'un mot, sa connaissance de l'homme est nulle. Aussi, quand il se trouve mêlé à quelque affaire publique ou privée, il fait rire de lui (...) et il n'y a pas de honte, quand on est jeune, à philosopher. Mais l'homme mûr qui continue à philosopher fait une chose ridicule, Socrate, et pour ma part j'éprouve à l'égard de ces gens-là le même sentiment qu'à l'égard d'un homme fait qui bégaie et qui joue comme un enfant (...). Chez un tout jeune homme, je goûte fort la philosophie; elle est à sa place et dénote une nature d'homme libre; le jeune homme qui ne s'y adonne pas me semble d' âme illibérale, incapable de viser jamais à rien de noble et de beau: mais devant un homme âgé que je vois continuer à philosopher sans s'arrêter jamais, je me dis, Socrate, que celui-là mériterait d'être fouetté5. Voilà qui est dit. Galliclès a résumé toutes les critiques anciennes et modernes sur la philosophie. Voici le verdict: le philosophe est un  bavard, un homme inapte et inadapté.

           Tout en reconnaissant avec Maurice Merleau-Ponty qu' "il est inutile de contester que la philosophie boite"6 (et en cela il n'y a rien d'étonnant, car étant la recherche de la sagesse, la philosophie doit, sur son parcours, débusquer ses erreurs, rebrousser chemin et reprendre ses recherches), je persiste et signe que la philosophie est une occupation sérieuse, car elle est liée à la vie comme les lèvres aux dents. Et René Descartes n'a pas dit le contraire quand il affirmait que "c'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n'est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu'on trouve par la philosophie; et, enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas"7. Je crois que c'est dans cette optique qu'il faut comprendre les convictions de Pythagore, Platon et Karl Jaspers pour qui la philosophie nous apprend à bien vivre et à bien mourir. De ce fait, la philosophie n'est pas réservée à la jeunesse comme le prétendait Galliclès. A tout âge, on doit aller à la philosophie avec son âme tout entière, et l'on doit vieillir en apprenant, en philosophant pour pouvoir dire avec Kant, en soupirant pour la dernière fois, "C'EST BIEN". 

           A dire vrai, il n'y a pas d'âge pour philosopher et Galliclès le reconnaît indirectement (en se contredisant?) quand il dit que "la philosophie est bonne à connaître dans la mesure où elle sert à l'éducation"8 et celle-ci, au dire de Gandhi, "consiste à faire venir à la lumière le meilleur d'une personne"9. Il faut toute une vie pour faire venir à la lumière le  meilleur d'une personne. 

           L'utilité de la philosophie n'est pas à démonter, et Galliclès cite l'EDUCATION. La philosophie nous aide à éduquer notre conscience et notre raison10. Et pour parler de l'euthanasie, il nous faut une éducation de la conscience, de la raison, du langage, du corps et de l'esprit. Cette éducation permet au philosophe d'être attentif à toute question, à toute pratique humaine. Voilà pourquoi Ludwig Wittgenstein II n'a pas hésité à écrire qu' "en philosophie une question se traite comme une maladie"11. Autrement dit, le philosophe doit prendre au sérieux ses questions, car il y va de sa vie et de celle des autres. 

           Nous nous trouvons devant une pratique euthanasique prouvant que notre société est en crise-sur la conception de l'homme, de la vie, de la mort, etc. – et elle est comparable à la mouche entrée dans une bouteille et qui cherche à en sortir. C'est à ce niveau qu'apparaît un autre rôle de la philosophie selon toujours Wittgenstein II. Ce rôle est celui de montrer à la mouche la voie de sortie de la bouteille. Laissons-lui la parole: "Quel est ton but en philosophe? – Montrer à la marche l'issue par où s'échapper de la bouteille à mouches"12. En d'autres termes, le philosophe a la mission d'éclairer et de rendre, par son analyse socio-médico-politico-économico-culturelle, plus clair ce qui est "brouillard". Voilà pourquoi le philosophe est invité, pour ne pas donner raison à Galliclès et ses descendants détracteurs, à ne pas s'enfermer dans un langage hermétique qui rendrait encore plus "brouillard" ce qui l'est dès le départ. Le malheur d'un philosophe, à mon humble avis, est de n'être pas compris, et pourtant, comme Hermès, il est appelé à parler aux humains en leur langage s'il veut être compris. 

           En dernière instance, le rôle de la philosophie, en ce qui concerne la question de l'euthanasie, est celui de rendre l'homme capable de réfléchir sur sa propre nature – qui suis-je? -, sur sa vie – quel est le sens de ma vie? – et sur sa mort – quel est le sens de la souffrance, de la mort et en quoi consiste mourir dans la dignité? 

           Il y a plusieurs rôles de la philosophie et je viens d'en citer quelques-uns ayant trait à mon sujet. 

           De tout ce qui précède, mon auditeur (qui m'a posé la question donnant lieu à ce chapitre) comprendra qu'il n'a pas droit d'interdire  la philosophie de réfléchir sur un problème du temps, à savoir (dans notre cas) l'euthanasie. 

           Au juste, qu'est ce que l'euthanasie et quels sont ses présupposés philosophiques? 
 

2. DEFINITION DE L'EUTHANASIE ET SES PRESSUPOSES

   PHILOSOPHIQUES 
 

           Le présent chapitre essaiera de donner quelques définitions de l'euthanasie et de faire voir les présupposés philosophiques qui les sous-tendent. 

2.1. Définition de l'euthanasie 

           Etymologiquement, "euthanasie" veut dire "bonne mort". 

           On distingue l'euthanasie active ou directe de l'euthanasie passive ou indirecte. La première consiste à "procurer directement la mort par l'administration d'un produit préparé à cette fin"13, et cela, soit sous la demande orale ou écrite du patient – ici on parlera du Testament de vie, Living will- ou de son représentant, soit sans sa demande. Cet acte mettant fin à la vie du patient est posé en vue d'abréger ou de supprimer les souffrances. La dernière a lieu quand il y a arrêt de la médication, i.e quand il y a abstention thérapeutique, arrêt du traitement et des interventions médicales. 

           Active ou passive, l'euthanasie est une action délibérée par laquelle on donne la mort à quelqu'un dans le but d'abréger, d'alléger ou de supprimer la souffrance. Voilà pourquoi ceux qui la soutiennent ou pratiquent n'hésitent pas à l'appeler " meurtre par pitié, tuer par amour, mort dans la dignité, mort douce..."14. D'autres la nomment "aide médicale et humaine"15. 

           Toutefois, je dois reconnaître qu'il y a plusieurs définitions et chacune d'elles, dépendant d'un pays à un autre, insistent sur l'un ou l'autre point. Voici quelques exemples: "Canada: acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances. Belgique: acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. Luxembourg: l'acte de provoquer délibérément la mort d'un malade, d'une personne handicapée ou d'un nouveau-né gravement mal formé, l'acte étant posé soit à la demande expresse de la personne concernée soit sans sa demande expresse ou même contre sa volonté (...). Danemark: l'assistance médicale pour abréger une vie de souffrance insupportable. Portugal: la mort intentionnelle d'un malade provoquée par quiconque, notamment sur décision médicale, même si cela est fait à titre de demande et/ou de compassion"16. Si le Canada insiste sur "mettre fin à ses souffrances", la Belgique souligne "à la demande de celle-ci", le Luxembourg met l'accent sur "un malade, une personne handicapée ou un nouveau-né gravement mal formé..." (ce qui touche à l'eugénisme ou euthanasie eugénique), le Danemark s'accroche à "l'assistance médicale et souffrance insupportable), au moment où le Portugal se concentre "notamment sur décision médicale". Partout le mot intention apparaît clairement ou indirectement. 

           Ainsi l'euthanasie se situe au niveau des intentions et des méthodes. 

           Reconnaissons que si le mot euthanasie a été inventé par Francis BACON (1561-1626), la pratique est plus vieille. 

           S'il en est ainsi de la définition, que dire des présupposés philosophiques dictant cette action euthanasique ? 

2.2. Présupposés philosophiques 

           Je reste convaincu que toute action humaine se nourrit ou est nourrie par une certaine philosophie. Tout pro-euthanasique- passez-moi l'expression - a une certaine anthropologie philosophique, une conception de l'homme. 

2.2.1. Anthropologie philosophique 

           Je voudrais exposer l'anthropologie philosophie de pro-euthanasie à partir du Rapport de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs17. 

           Il ressort, selon ma compréhension, de ce Rapport une conception de l'homme fondant la vie de ce dernier sur la dignité et la spiritualité.

Cette dernière n'est pas à entendre sous l'angle religieux. La spiritualité fait penser à la conscience. Ainsi, selon ce Rapport, "le niveau de conscience définit un être humain"18. La dignité humaine interdit que l'existence d'une personne ne soit pas "réductible aux fonctions naturelles, c'est-à-dire aux fonctions de la vie végétative"19. De ce fait, la douleur physique, la maladie et l'acharnement thérapeutique portent atteinte à la dignité humaine, et elles finissent par ôter à la personne toute dignité. 

           Dans cette anthropologie philosophique, "l'aspiration à un sommeil définitif [la mort] ne constitue pas une négation de la vie mais la demande d'interruption d'une existence à laquelle la maladie a fini par ôter toute dignité"20. Sachant que "la dignité [absence de maladie et de douleur inutile et néfaste, degré d'autonomie et de conscience] est ce qui définit une vie humaine"21, le médecin, selon ce  Rapport, devant la demande du malade voulant interrompre une existence ayant perdu pour lui toute dignité, dit décider, "en toute conscience,  de lui porter secours et d'adoucir ses derniers moments en lui permettant de s'endormir paisiblement et définitivement, cette aide médicale et humaine (parfois appelée euthanasie) est le respect de la vie"22. 

           Cette anthropologie philosophique se base sur un matérialisme humaniste où les concepts clés sont dignité et conscience. L'homme n'est un être humain que s'il est conscient, i.e autonome et s'il est digne, i.e sain corporellement et psychologiquement. 

           Cette anthropologie a des incidences anthropologiques. 

2.2.1.1.  Incidences anthropologiques 

           Si c'est le niveau de conscience qui définit un être humain, alors logiquement tout être humain se trouvant dans le coma ou sous un état de vie végétative n'est plus humain. Il est une chose, et il est moins important que du fumier. Alors par "humanité", on doit l'endormir paisiblement et définitivement, selon ce Rapport. Je pense que je ne       force pas la note. 

           Si la dignité [comme elle est comprise ci-dessus] est ce qui définit une vie humaine, alors l'on doit admettre que certaines existences sont indignes. Je pense aux grands    malades, i.e. les incurables, les fous, les handicapés, les vieillards, les épileptiques, etc. Leur douleur étant inutile et néfaste, il serait "humain" de les aider médicalement à s'endormir paisiblement et définitivement. Voilà le vrai respect de la vie, selon ce Rapport. 

           Cette anthropologie philosophique dévoile la philosophie qui dirige notre société et qui, ipso facto, façonne nos mentalités et attitudes face à la vie, à la mort. 

2.2.2.  La philosophie de la société pro-euthanasique 

           La société pro-euthanasique a déjà répondu aux grandes questions existentielles, à savoir qu'est-ce que la vie? Quel est le sens de la vie? Et qu'est-ce que la souffrance? A-t-elle un sens? La vie avec souffrance vaut-elle la peine d'être vécue? Est-elle digne? La mort, qu'est-ce? Y a-t-il un après-vie? Qui a un dernier mot sur la vie d'un individu? Ce dernier n'est-il pas autonome? Etc. 

           La philosophie hédoniste dirige notre société, et à ce propos René Hubert a raison quand il dit que "nous vivons dans une société  édoniste (sic) qui privilégie la vie et ses dons et qui annule la mort et ses problèmes"23.  Epicure n'est pas étranger à cette mentalité, lui qui enseignait qu'étant maîtres de nos douleurs supportables, nous pouvons quitter la vie qui ne nous plait pas quand nos douleurs sont intolérables. Je sais qu'il a établi la hiérarchie des plaisirs (plaisirs naturels et nécessaires, plaisirs naturels et non nécessaires, plaisirs non naturels et non nécessaires), mais chez lui la mort ne concerne ni les vivants, ni les morts, car quand on est là, elle n'est pas là, et quand elle est là, nous ne sommes plus là. Il cherchait à annuler la mort et ses problèmes. On doit rechercher le plaisir et refuser la souffrance. 

           La philosophie utilitariste accompagne la philosophie hédoniste pour notre société, comme le dit si bien Nadine Davous, "l'homme n'est-il donc respectable que s'il est "présentable", non pesant, non coûteux pour l'entourage affectif et social?"24. la vie coûtant cher, l'on doit se garder de gaspiller l'argent en supportant les soins d'un malade incurable, etc. 

           A côté de la philosophie hédoniste et utilitariste, il y aussi la philosophie de l'image de marque ou du corps qui nous guide. Il suffit de voir la magie du miroir, les salons de beauté, la médecine esthétique, etc. pour se rendre compte comment nous sommes victimes du narcissisme, du culte de corps. L'on est digne quand on est beau, présentable, quand on est "dans sa peau". Et si la maladie détruit la beauté, nous défigure, nous rend méconnaissables et que le miroir nous révèle la laideur, alors la vie devient indigne. Si l'accident nous rend inapte, handicapé, alors l'on ne vaut plus. Si la vieillesse nous rend étrangers à nous-mêmes, nous enlève l'ouïe, la mémoire, la beauté, alors notre dignité est atteinte. Il faut "disparaître". La publicité joue un grand rôle pour nous façonner dans la philosophie du culte de corps. 

           A la fin, dois-je le dire, la philosophie immanentiste nous console. Autrement dit, tout termine ici-bas. Ainsi la vie après vie du Dr Moody, Le livre tibétain des morts et le livre des morts des anciens égyptiens ainsi que le christianisme nous parlant de l'après vie appartiennent, dans cette philosophie, au stade théologique et   métaphysique, alors que notre société est celle du triomphe et du progrès des sciences. Auguste Comte est toujours là. 

           Voilà, à mon humble avis, les philosophies sur lesquelles se bâtit notre société pro-euthanasique. 

           Puisqu'il en est ainsi, les pro-euthanasies ne manquent pas d'arguments.

3.  Arguments pro-euthanasie et leur critique

 

            la section des présupposés philosophiques servant de base, l'on ne doit pas être surpris d'entendre des arguments pro-euthanasie.  Ma façon d'exposé présuppose aussi ma position anti-euthanasie. 

            Voici quelques arguments pro et anti-euthanasie. 

            Ceux qui soutiennent l'euthanasie, en dernière analyse, se basent sur le droit de mourir dans la dignité et ils pensent que chaque personne doit être rassurée sur les conditions de sa fin de vie.  A dire vrai, certaines personnes refusent la déchéance physique et intellectuelle25. 

            J'estime, pour ma part, que les arguments pro-euthanasie peuvent être réduits aux deux principes, à savoir celui de bienfaisance et celui de l'autonomie. 

3.1. Le principe de bienfaisance 

            Pour les Rationalistes, "il ne devrait pas y avoir d'objection à l'euthanasie"26 et ils rejettent des théories impliquant l'inévitabilité de la souffrance humaine27.  Autrement dit, la souffrance ou la douleur étant inutile et néfaste doit être combattue par tous les moyens.  Et devant les souffrances insupportables, et non maîtrisables portant atteinte à la dignité humaine, l'aide médicale et humaine (euthanasie) est le respect de la vie.  En d'autres termes, devant la vie qui a perdu "tout: dignité, beauté, signification, perspective d'avenir"28, il est "humain" d'avoir la compassion de rester à une limitation des traitements (refus de l'escalade thérapeutique), ou à un arrêt progressif des traitements pour le respect de la sensibilité aussi bien des proches que des soignants, ou mieux par compassion, l'on doit mettre fin à une existence réduite à une vie végétative. Quand la maladie a ôté toute dignité, il faut "tuer par pitié" et le patient moura dignement.  Même la Déclaration de Lisbonne de l'Association médicale mondiale sur les Droits du patient (adoptée par la 34ème Assemblée médicale mondiale Lisbonne, septembre/octobre 1981 et amendée par la 47ème Assemblée générale Bali, septembre 1995), parlant du droit à la dignité, déclare que "le patient a droit à ce que le mode d'apaisement de ses souffrances soit conforme à l'état actuel des connaissances. [Autrement dit, si je dois tirer la conclusion, l'incurabilité donne droit à l'exception de l'euthanasie]. Le patient en phase  terminale a le droit d'être traité avec humanité et de recevoir toute   l'aide disponible pour que sa mort soit aussi digne et confortable que possible. [Or l'euthanasie, en voulant abréger la souffrance inutile, pensent les pro-euthanasie, rend la mort digne et confortable du fait qu'elle est une délivrance douce relevant d'un acte culturel]".29 Effectivement l'euthanasie est devenu un acte culturel, et pour preuve, il suffit de lire le serment d'Hippocrate réactualisée par le Pr Bernard Hoerni disant, entre autres: "je ferai tout pour soulager les souffrances, je ne prolongerai pas abusivement les agonies"30. Que renferment le "tout" et l' " abusivement"? 

           Quelle critique dois-je adresser à cet argument? A la suite de Kant et Louis Althusser, je pense que la philosophie est un champ de taille où il faut prendre position. Ceci vaut aussi pour la vie. 

           Que  signifie mourir dans la dignité? Est-ce le fait de voir ses souffrances abrégées par l'acte culturel euthanasique? 

           Sachant que l'homme est un être social, relationnel, communicationnel, sa dignité n'est pas à réduire à une partie de son être, à savoir la conscience et la beauté du corps, ou mieux l'intégrité physique. "La dignité de l'homme  tient à son humanité même. Les dommages physiques et  psychiques affligés par la maladie ne sauraient porter atteinte à cette qualité inaliénable"31. A dire vrai, c'est dans une relation produite par la reconnaissance de l'autre que la dignité se comprend32. Et Roger Garaudy a raison quand il affirme que l'enfer c'est "l'absence des autres et aux autres"33. Effectivement, beaucoup de patients demandent l'euthanasie du fait qu'ils vivent l'enfer suite à l'absence des autres et aux autres. Quelqu'un leur fait défaut, en commençant par le médecin. Ils se sentent inutiles devant l'absence des siens et des amis. Ils refusent de dépendre d'autrui, etc. Tout cela les pousse à croire que la vie n'a plus de sens et qu'elle a perdu la dignité. Et la douleur physique amplifiée en douleur psychologique, sociale ne conduit qu'à une révolte contre la vie. Devant cette double absence, la fin de vie devient dénuée de sens. Voilà  où conduit cet enfer. 

           Si l'absence des autres et aux autres est l'enfer, la dignité humaine (qui n'est pas à réduire à une partie de son être ou de sa vie) se manifeste dans la présence des autres et aux autres. C'est à ce niveau de double proximité que se vit la compassion, la sollicitude et la solidarité. C'est dans ce cercle humain que peut se vivre la bonne mort, "mort attendue, partagée, entouré [e] de sa famille et de ses  amis"34, mort où l'on peut dire un mot comme Kant: "C'est bien" et où on peut s'en aller avec une bonne conscience comme Socrate: "N'oublie pas nous devons un coq à Esculape".  Même Jésus, Fils de Dieu et Dieu sur la croix, l'a vécu: "Femme voici ton fils; fils voici ta mère". Sans cette double proximité, dois-je le répéter, le patient sombre dans le découragement, la solitude, la dévalorisation de soi et le sentiment de la perte de dignité. Michel de Muzan ne défend    pas le contraire quand "il insiste sur la nécessité d'une présence forte et proche, à l'opposé de cette séparation, de ce deuil prémédité, qu'il n'hésite pas à qualifier d'euthanasie psychique"35. 

           De tout ce qui précède, j'estime que mourir dans la dignité n'est rien d'autre que d'affronter la mort dans la solidarité  où il y a le soutien dans l'épreuve, l'aide pour continuer à espérer. Mourir dans la dignité signifie aussi être en présence d'un médecin vivant son serment d'Hippocrate originel, répondant à sa vocation de soigner même s'il y a des maladies incurables, d'assister le malade (et ici l'hôpital retrouve son sens d'hospitalité), d'accepter de guérir parfois, de soulager souvent et de toujours consoler. Qu'il est beau et humain ce métier! 

           Voilà, puisse-je l'affirmer, le vrai principe de bienfaisance: si l'on a assisté le fœtus jusqu'à la naissance, qu'on assiste toujours cette créature appelée enfant et qui deviendra vieillard, et cela jusqu'à sa mort. 

           Qu'en est-il du principe d'autonomie? 

3.2. Le principe d'autonomie 

           Le principe  d'autonomie   veut que tout être humain soit considéré comme une personne libre capable de décider de son existence. Autrement dit, "l'individu est seul juge de la qualité de sa vie et de sa dignité. Personne ne peut juger à sa place"36. La Déclaration de Lisbonne appelle ce principe le droit à la liberté de choixle droit de décision. Ainsi elle énonce, entre autres, que le "patient a le droit de prendre librement des décisions le concernant. Le médecin l'informera des conséquences de ses décisions"37. 

           Ce principe se fait voir ou s'exerce, dans le cas de mon exposé, quand le futur patient écrit son "Testament de vie" dans lequel il manifeste sa volonté de "mourir dans la dignité" en demandant d'abréger ses souffrances et de ne pas être victime d'acharnement thérapeutique. Autrement dit, il exige que personne ne l'oblige à vivre "indignement" et ainsi seul le regard que lui-même porte sur son être doit compter et  être respecté. Bref, "la dignité est une convenance  envers soi que nul ne peut interpréter. Elle relève de la liberté de chacun"38. 

           Ce principe pose des problèmes. L'être humain est-il totalement autonome? Je pense, à mon humble avis, que le concept d'autonomie appelle celui d'hétéronomie et celui de théonomie si l'on est croyant. Doit-on respecter l'autonomie qui n'a jamais été totalement autonome? L'homme qui écrit son "testament de vie" (qui est en pratique un testament de mort) peut-il affirmer sans se contredire qu'il est pleinement libre, sans influences socio-politico-économico-culturelles? L'euthanasie étant un acte culturel, ne peut-on pas dire que ce triste testament est un produit d'une suggestion inconsciente? Entre nous, "qui ne s'est jamais senti poussé à faire des gestes sans en comprendre le pourquoi? Qui n'a jamais eu des pensées "étrangères", qu'il ne reconnaissait pas comme siennes? Qui n'a jamais prononcé des mots sans savoir d'où ils venaient?"39. Par ces questions, nous sommes invités à traduire l'autonomie devant le tribunal de la raison. L'on doit décentrer l'autonomie et la mettre en face de l'hétéromie (société, école, famille, rue, massmédia, éducation, la vue, l'ouïe, les songes, etc.) et la théonomie (religion et son éducation).  A côté de la liberté de choisir et de faire que nous nous targuons, "on peut penser [et cela avec raison] que nous vivons tous plongés dans un réseau de suggestions et ordres quasi posthypnotiques: messages qui arrivent de notre génome, en passant par les instincts, jusqu'à l'éducation familiale et aux suggestions des médias. D'où est-il donc, l'espace de liberté?"40.  Cet espace est dans la dialectique ou l'unité de liberté et nécessité, autonomie et hétéronomie, autonomie et théonomie, liberté et situations, liberté et déterminisme, conscience et inconscient, rationnel et irrationnel, raison et instinct. Même notre volonté n'est pas toujours claire, car "il arrive que l'être humain ne sache plus ce qu'il veut ou qu'il devienne le jouet de réactions émotives qui obscurcissent sa volonté. Il  a alors besoin d'une présence attentive d'autrui qui l'aide à traverser une période de désarroi"41. 

 Sandro Gindro nous résume dans la démystification du principe d'autonomie. il parle de l'Inconscient qui est plus riche. Ainsi il y a l'inconscient biologique "transmis génétiquement, c'est-à-dire les instincts"42. A côté de cet inconscient existe aussi l'inconscient social" qui est constitué par l'ensemble des croyances, des fantaisies, des désirs et des craintes du groupe social (et qui est en évolution historique à la différence de l'Inconscient Collectif jungien"43. Enfin vient l'inconscient individuel "formé par ses propres expériences de vie, c'est-à-dire par les relations entre Moi et les Autres"44 

           Puisqu'il en est ainsi, jusqu'à quel niveau dirions-nous que le "testament de vie" écrit par un être humain conscient est un fruit d'une autonomie autonome? 

           Que penserions-nous alors de la demande d'interruption de vie exigée par un malade? Le malade, du fait qu'il est malade, est-il maître de ses pensées et désirs? Doit-on le prendre au mot? Dans sa demande d'euthanasie, l'entourage n'a-t-il pas une part considérable par ce que d'aucuns appellent le "jeu de miroir"? L'entourage peut avoir l'angoisse ou pleurer en voyant le malade défiguré. Percevant ce jugement ou ce sentiment de "nullité" dans les yeux de ceux qui sont censés l'encourager, le soutenir ou le consoler, le malade se retrouvera renforcé dans la conviction de la dévalorisation de soi. Il y a aussi la "peur en retour" née chez le patient de la peur lue dans le regard du soignant45. Tout ceci peut conduire à la demande de l'euthanasie. La solitude, le désespoir devant le manque d'argent, l'injustice, l'inégalité sociale, tout peut amener le patient à réitérer sa demande d'euthanasie. S'il est vrai que personne ne peut obliger quelqu'un à vivre, n'est-il pas non plus vrai que le malade ne peut obliger un tiers à le tuer? A ce propos, le Serment d'Hippocrate originel insiste: "jamais je ne remettrai du poison, même si on me le demande, et je ne conseillerai d'y recourir". Voilà la vocation du médecin et l'on ne doit s'y dérober en faisant appel à la délibération collective pour décider de la vie ou de la mort du malade. A-t-on le droit de tuer d'être tué puis qu'on ne peut guérir? 

           Le Docteur  J.-F. Roche reconnaît que "l'immense majorité des demandes d'euthanasie ne sont pas renouvelées si les traitements antalgiques sont bien adaptés, il le malade se sont écouté et considéré comme au centre du processus de soins, comme son véritable inspirateur, autrement dit pour reprendre l'expression  de Levinas, un "sujet éthique"46. Voilà qui limite hennisse une fois le principe d'autonomie. 

           Ce principe doit reconnaître l'hétéronomie qui peut le limiter. Ainsi le pouvoir familial, la loi peuvent s'opposer à la demande de l'Euthanasie. Même si certains pays légalisent l'euthanasie, cela ne légitime pas cet acte, selon moi. Même le concept d'exception d'euthanasie introduit par le Comité Consultatif National d'Ethique (en France) est impropre. C'est un signe de crise anthropologique. Le malheur est de voir demain les pays africains légaliser l'euthanasie, surtout que l 'on croit souvent que tout ce qui se fait en Europe et aux Etats-Unis est signe de progrès. La fausse théorie de rattrapage risque de s'appliquer en ce qui concerne l'euthanasie. Et dire que la mort, en principe et logiquement, ne se décide pas mais se constate. 

           D'accord avec Patrick Verspieren, je persiste et signe que l'autonomie n'est pas un principe mais une valeur". "Eriger l'autonomie en principe, c'est affirmer que, comme agents moral, le patient est seul à pouvoir déterminer ce qui est son bien [et c'est vouloir faire de l'homme la mesure de toutes choses, et pourtant chacun de nous expérimente la faillibilité, l'inconsistance, le changement d'idées et chacun de nous sait dire que l'erreur est humaine].  C'est donc récuser la participation à la décision de quiconque autre que lui. Voir dans l'autonomie une valeur, c'est reconnaître qu'elle a à être suscitée, protégée, renforcée; c'est donc attirer l'attention sur la responsabilité de l'entourage d'un malade dans le soutien de son vouloir-vivre et le renforcement de sa volonté provisoirement défaillante"47. 

           De tout ce qui précède, le lecteur pourra me poser la question de savoir, quelle est ta solution à la vue des souffrances du malade se trouvant en phase terminale? 

4. QUELLE SOLUTION? OPTION POUR LES SOINS PALLIATIFS ET LEUR

    PHILOSPHIE 

4.1. Soins palliatifs 

           Devant  le refus de l'euthanasie que je considère comme un suicide médicalement assisté – Dieu merci que mon pays, la République Démocratique du Congo, interdit l'euthanasie -, je propose les SOINS PALLIATIFS consistant  "à soulager de ses souffrances la personne enfin de vie, à sauvegarder sa dignité et à soutenir son entourage"48. Le soulagement des douleurs se fait dans le sens où on atténue les symptômes d'une maladie sans nécessairement agir sur sa cause. L'on sait que la cause de la maladie ne sera pas extirpée. Toutefois on se donne comme devise la lutte contre la douleur, l'inconfort et la peur. 

           Si l'objectif de ces soins est celui "de soulager les douleurs ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique et spirituelle"49, leur visée simple est louable, car on permet "au processus naturel de la fin de la vie [de] se [dérouler] dans les meilleures conditions, tant pour le malade lui-même que pour son entourage familial et institutionnel"50 

           Non seulement par ces soins on cherche à contrôler la douleur, mais surtout, par ce contrôle, on veut préserver la vigilance du malade et le rendre capable de relation ou mieux de communication avec son entourage tant familial que soignant.. 

           En outre, dans ces soins la nutrition et l'hydration sont adaptées à 'état du malade et l'on essaie d'éviter ce que l'on appelle l'acharnement thérapeutique. 

           Comme l'on peut le deviner, "l'originalité des soins palliatifs consiste précisément dans le rôle central du contrôle de la douleur, l'accompagnement psycho-social et spirituel impliquant la famille, la possibilité de mourir à domicile entouré des soins nécessaires et aussi le fait de parler ouvertement de la mort"51. 

           La dimension d' "accompagnement des mourants" ou mieux de "présence permanente" fait partie des soins palliatifs. Autrement dit, le malade ne doit être extirpé de son contexte familial et amical, et comme il est né dans une famille où venaient lui rendre visite les amis de la famille, il doit aussi mourir au sein de sa famille où ses amis ont encore la possibilité de le voir comme jadis. En outre, il y a aussi la présence des soignants que le malade incorpore au sein des siens. 

           Les soins palliatifs exigent de la part de tout l'entourage une attitude d'écoute, d'attention au malade. Les soignants, à dire vrai, sont mis à l'épreuve dans leur humanité et ils sont censés avoir un sens aigu de la compassion, de la pitié et de la solidarité. Cela suppose une conscience noble de la valeur de toute personne humaine sans tenir compte de son âge, de sa couleur, de son origine, de sa confession religieuse ou philosophique. 

           De tout ce qui précède, l'on peut comprendre que les soins palliatifs sont basés sur une certaine philosophie de l'homme. 

4.2. La philosophie des soins palliatifs 

           Je pense, à mon humble avis, que la philosophie qui inspire et alimente les soins palliatifs porte avant tout sur le corps humain ou sur la dimension de la corporéité. Cette philosophie cherche à battre en brèche la philosophie qui privilégie l'image du corps, un corps "toujours beau et désirable, un corps de plaisir inaltérable, un corps quine vieillit pas, un corps de jouissance, prêt à jouir et à faire jouir"52. Autrement dit, on invite les gens à ne pas oublier que "corps magnifié par l'image, montrer pour faire rêver, que ce corps de jouissance est aussi un corps de souffrance, et qu'il nous faut assumer ces deux pôles"53. En d'autres termes, l'on doit toujours se souvenir du fait que "la mort fait partie de la condition humaine, avec ses souffrances [corporelles], ses humiliations [corporelles]. Ne pas accepter cela c'est être lâche"54 

           Cette philosophie du corps nous aide à changer notre mentalité et notre image du corps. Mon corps, quand bien même il serait rongé par la maladie, n'est pas une chose comme les autres. L'être humain est plus que son corps quoiqu'il n'existe pas sans le  corps. A dire vrai, le corps n'est pas extérieur à l'être humain, il est son propre corps sans être réduit uniquement à cette dimension de la corporéité. Même malade, par le corps, l'être humain reste engagé dans le monde. Il lui est un facteur de présence non seulement à soi-même, mais aussi aux autres. C'est par lui que les autres le rencontrent et le rencontre aussi. C'est par lui qu'il peut encore s'exprimer par la parole à travers la bouche, par les gestes à travers les mains, par un autre message à travers le visage et le regard des yeux. Autrement dit, par le corps l'être humain, malade soit-il, se donne aux autres. Voilà qui nous conduit à une autre philosophie complémentaire à celle du corps. 

           Il s'agit de la philosophie du  dialogue et de communication. C'est par le corps que l'être humain peut dialoguer et communiquer.   C'est par lui que l'être humain est présent aux autres et vice versa. N'oublions pas que j'ai déjà  parlé de l'être humain comme étant un être social et relationnel. Le dialogue ou la communication est une dimension anthropologique. Par la communication l'on s'ouvre à l'autre et vice versa, et tout est fait pour la réalisation de soi et de l'autre. On y prête plus attention à ce que dit l'autre et on crée en soi un silence de couvent et non celui de cimetière. La communication brise la solitude et instaure la solidarité. C'est cela qui se vit dans les soins palliatifs. Même le silence est un langage. Dans la communication avec le malade, il y a une rencontre de deux êtres égaux, dignes et chacun d'eaux garde son autonomie comme valeur, on se considère mutuellement, voilà pourquoi on s'interroge mutuellement. Il y a respect de l'autre quivaut encore, même dans sa maladie. 

           De tout ce qui précède, l'on remarquera que par et dans les soins palliatifs on crée un ESPACE ANTHROPOGIQUE où l'homme est pris comme un TOUT et où il ne se définit pas seulement par le niveau de sa conscience et d'autonomie et où la dignité humaine n'est pas supprimée par la souffrance et où le mystère entourant la mort mérite la plus grand respect. Entre nous, l'être humain reste un mystère. Cet ESPACE ANTHROPOLOGIQUE est aussi spirituel et même  éthique. Dans cet espace, la communication atténue, par la présence des autres et aux autres, la souffrance physique, psychologique, sociale et spirituelle (car si l'on est croyant, on a besoin de la présence de son pasteur, de ses corréligionnaires) se traduisant par la peur, la rancune, l'angoisse, la tristesse, la colère et la confusion. La présence aux autres et des autres chasse tout ce qui pollue l'esprit touché dans son  corps. 

           A dire vrai, cette double philosophie sous tendant les soins palliatifs met en exergue le respect de la vie privée – vie dont la dignité n'est pas ôtée par la maladie -, prône la prise en compte du malade – car il reste toujours un être humain – et, s'intéresse à sa famille d'où jaillira toujours la chaleur exprimée lors de la naissance de l'actuel malade. 

           Il me reste à conclure mon texte. 

CONCLUSION

 

           Parler de l'euthanasie revient à parler du sens de la vie, de la souffrance et de la mort. 

           Comme le problème de sens de la vie et de la mort intéresse directement la philosophie, j'ai essayé de réfléchir sur l'euthanasie. et je voudrais, encore une fois, conclure ma prise de position sur l'euthanasie en posant des questions à mon lecteur sur ce qu'est la MORT. Celle-ci est-elle un mur contre lequel vient la vie? 

           N'est-elle pas un passage obligé vers un AILLEURS? Ne peut-on pas la considérer comme un moment de RENDEZ-VOUS avec le monde qui nous a tout donné à notre naissance et qui nous pose la question de savoir ce que nous avons fait de la vie? ET CELUI (Dieu, l'Absolu) ou CELLE (valeur) pour qui l'on a vécu n'est-il pas là en ce moment pour savoir si nous lui avons été fidèle? Peut-on être fidèle à une valeur Impersonnelle ou seulement o un Dieu personne? Est-il vrai que la mort serait un puits sans fond où l'on jetterait un corps humain comme n'importe quelle chose? La  philosophie étant liée à la vie, toute réponse accordée à ses questions vous engage. La chance est qu'il reste  toujours à l'homme la possibilité de rebrousser chemin et de reprendre le chemin à nouveaux frais. 

           Pour moi, la mort est le moment privilégié où je dois dire à la Trinité (Dieu Père, Fils et Saint-Esprit); "Entre tes mains, je remets mon esprit". Est-ce encore de la philosophie? Oui, car c'est une prise de position, une option fondamentale et chacun en a UNE. Ne pas l'avoir c'est déjà l'avoir. 
 
 

BIBLIOGRAPHIE 

I.. LIVRES 

  1. MENSIOR, J.-P., Chemin d'humanisation. Essai d'anthropologie chrétienne. (Trajectoires). Bruxelles, Lumen Vitae, 1998.
  2. MPALA MBABULA, L., Biséthique biblique ou appel à la conscience humaine. Lubumbashi, Mpala, 1995.
  3. MUYEGO MULOMBE, S., Introduction à la biséthique. Préface de Jean M. Van Parys. Kinshasa, Presses Universitaires du Sud, 199.
  4. SCHOLTES, T., L'euthanasie. (que penser de...). Namur, Edition Fidélité, 15 décembre 1992.

II. ARTICLES

 

  1. DAVOUS, N., Euthanasie, un mot si lourd, dans Etudes (mars 1996), p. 323-331.
  2. Droit de la santé: l'euthanasie et les soins palliatifs, dans http://sos-net.eu.org/
  3. HUBER, R., Le problème est posé, dans Echanges   127 (1975) (dossier l'euthanasie), p. 17-21.
  4. L'euthanasie. un document de la sacrée congrégation pour la famille.
  5. MORDINI, E., L'autonomie du client comme s'imposant aux professionnels.  Limites de principe: un point de vue psychanalytique, dans Revue d'éthique et de théologie morale "Le Supplément" 1/192 (mars 1995), p. 21-28.
  6. N° 63 Fin de la vie, arrêt de vie, euthanasie, dans http://www.ccne-ethique. org/
  7. ROCHE,  J.-F.? Ethique et euthanasie, dans www.emmanuel-info.cim/
  8. VERSPIEREN, P., L'euthanasie: une porte ouverte? Dans Etudes (janvier 1992), p. 63-74.
  9. ID., Respecter et promouvoir l'autonomie du malade, dans Revue d'éthique et de théologie morale "Le Supplément" 1/192  (mars 1995), p. 47-60.
  1. RAPPORTS

 

  1. Rapport de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs, dans La Documentation Catholique 2034 51-15 septembre), p. 791-793.
  1. CONFERENCE ET FILM

 

  1. MPALA MBABULA, L., Biséthique biblique ou appel à la conscience humaine. Conférence tenue à Lubumbashi le 18/07/2002 à la première journée sociale et éthique du Groupement congolais des Omnipraticiens.
  2. A propos de l'euthanasie. droit de mourir? Film débat réalisé et transmis par la T.V. Mosaïque, Lubumbashi le 18/08/2002.