Professeur Abbé Louis Mpala

jeudi 28 mai 2009

Il y a un contexte présupposé qui conditionne l’ensemble de l’activité de parole : lorsqu’on entreprend de parler, nous dit LATRAVERSE, on présuppose que ce qu’on dit a un sens repérable [je souligne] que certaines expressions qu’on utilise ont une référence identifiable (…), qu’autrui dispose de moyens permettant de comprendre ce qu’on lui dit (…) »[1]. Le sens repérable et la référence identifiable sont ici ce que Paul Ricoeur appelle espace d’expérience, le PASSE PRESENT[2]. Notre passé lointain et récent est présent, car il est notre référence. C’est le contexte-prétexte et L. D. KABILA l’analyse : « Mais le régime (…) a plongé dans l’irresponsabilité illimitée. Chose que Mobutu a reconnu, parce qu’il ne faisait que s’étonner sur le bateau [Outenika] (…). Ils [les Blancs] nous ont pris pour des gamins* (…). Un grand pays où l’on trouve la végétation la plus luxuriante et où les gens ne cultivent pas parce que nous sommes condamnés à vivre avec l’occident alors que nous sommes riches »[3]. C’est un passé où « le pays (…) était alors dirigé par un Etat anti-peuple, un Etat dont la mission essentielle était de défendre les intérêts étrangers et de contenir le courroux des populations congolaises exploitées afin de permettre à ces intérêts étrangers de saigner à blanc la RDC. Les résultats, c’est la création de la misère un peu partout. C’est l’économie dite ravageuse extravertie. [Et à ce propos, en 1993, Kabila avait adressé une lettre de 17 pages à Mobutu où il disait entre autres : « Cessez d’avec la civilisation de la cueillette pour opter pour celle de la productivité »[4]]. Toutes les critiques, dit KABILA, ont convergé pour dire que l’Etat d’alors n’était pas autre chose qu’une sorte de garde-chevaux. Un Etat qui avait une seule mission : que les intérêts des grands pays et des petits pays priment sur l’intérêt national. Le caractère répressif de cet Etat est là. [C’était un] Etat-compradore (…), un gouvernement pour la sauvegarde des intérêts non nationaux, un gouvernement de marionnettes, un gouvernement actionné de l’étranger. (…). C’était la courroie de transmission des directives de l’étranger et qui oeuvrait uniquement à protéger les intérêts (je souligne), et vous êtes tous au courant, poursuit Kabila, on parlait des intérêts des Américains, des Français, des Belges… mais jamais des intérêts du peuple congolais. Et vous savez que cet Etat-là, conclut KABILA, l’Etat-compradore a trop duré. Il avait créé une culture, des habitudes dans le mode de production, de la pensée… le comportement des citoyens


[1] - F. LATAVERSE, cité par G. NDUMBA, Critique de la raison pragmatique …, ., p. 175.

[2] - Cf. P. RICOEUR, o.c., p. 376.

* C’est moi qui souligne les mots se trouvant en italiques dans les discours de KABILA.

[3] - L.D. KABILA, Discours,  dans  Le Palmarès 1343 (28/9/1998), p.  et 6.

[4]   Lettre citée par G. MUKENDI et B. KASONGA, Kabila le retour du Congo, cité par D. BIKOKO, Recension du KABILA le retour du Congo de Mukendi et Kasonga , dans   Raison Ardente 50 (1997), p. 131.

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lundi 25 mai 2009

            De  ce qui précède, nous pouvons dire que nous avons découvert un nouveau monde, monde ayant ses soucis et ses joies. Du dialogue avec Kinaka, nous avons compris que l’homme n’a pas seulement des préoccupations matérielles, mais qu’il est aussi rongé par le souci ou le désir d’aller au-delà de la nature ou de la matière. Toutefois nous sommes contraint de constater avec Marx que, pour notre cas « kinakien », l’infrastructure détermine la superstructure, que dis-je ? L’économique qui n’a pas fait naître le culturel le détermine en dernière analyse,  pour le cas « kinakien ». Mais n’est-ce pas que le sort dernier de l’art est de transcender sa détermination sociale, s’émanciper de l’univers économique ?[1]



[1] Ib.,, p. 20

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mercredi 20 mai 2009

Nous voulons marquer les pas avec Carlos Eduardo MEIJA qui nous dit que « la politique… en tant que synonyme du bien commun est une obligation de tout le peuple de Dieu, hiérarchie et laïcat, et chacun de ses membres : évêques, prêtres, diacres, séminaristes, laïcs hommes et femmes, religieuses et religieux. Nous sommes tous membres de la polis, de la cité terrestre »[1]. Notre ami Carlos a encore raison quand il écrit : « Dans une société où l’on use et l’on abuse de Dieu et du nom de Dieu, même pour justifier l’injustifiable, il est urgent que tous les chrétiens soient suffisamment lucides pour ne pas se laisser égarer par des sophismes et des idéologies, et que chacun prenne au sérieux sa tâche de bâtisseur du Royaume de Dieu »[2]. Chrétien, es-tu encore chrétien ou te confonds-tu au crétin ?

                 De tout ce qui précède, l’on remarquera que nous avons évité la « satanocratie »  qui engendre la contemplation évasive du fait que ce monde serait considéré comme le siège de Satan. Nous avons fait aussi l’effort de ne pas sombrer dans la théocratie qui enfante l’intégrisme religieux niant l’autre qui pense autrement. Nous avons également échappé à l’ « anthropocratie », cette tendance qui veut construire les polis sans faire appel à une transcendance.



[1] C.E. MEIJA, L’engagement socio-politique de l’Eglise, dans Renaître N°4 ( 15 mars 1992), p.12.

[2] Ib., p.13.

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mardi 19 mai 2009

En outre, il serait obérant de réduire tout le phénomène têtu de sorcellerie à un reflet de la détérioration des rapports sociaux. Cela n’est pas toujours le cas. Que dire de cette personne qu’on assiste et qui, à la place de la reconnaissance, fait du mal à son bienfaiteur ? Sont-ce ses rapports sociaux détériorés qui l’ont poussé à commettre le mal ? Encore une fois, le proverbe bemba est plus réaliste que certaines explications qui se veulent scientifiques dans leur réductionnisme : « Amano ya ndoshi Kutumpa = l’agir du sorcier est absurde, c-à-d non déductible par la raison ».

Par ailleurs, il serait imprudent de toujours établir une relation de dépendance entre la sorcellerie et la crise socio-morale et qui poussera à affirmer que la sorcellerie est cause de la crise et que tout en n’étant pas la cause absolue, elle peut être son effet voire le moyen d’y remédier. Malemba, spécialiste sur les problèmes de la sorcellerie à l’Université de lubumbashi, me semble incomplet dans ses explications,  car il passe sous silence certains témoignages (dans son Induction abstractive ≠ L’expérience directe) où certains sorciers manifestent, sans rancœur, le sadisme ou leur plaisir de faire du mal gratuitement. Ne dit-on pas , toujours avec le proverbe bemba, « uwalya akakwe tominwa mbila=celui qui a mangé un membre de sa progéniture, ne doit jamais être inquiété » ? En quoi ici la sorcellerie est un effet de la crise-morale ou un moyen d’y remédier ? Si, à la limite, dans ce cas, elle serait l’effet de la crise-morale, il n’est pas pour autant un moyen d’y remédier. La sorcellerie a sa propre logique qui dépasse parfois et non toujours l’explication sociologique, dialectique soit-elle.

Le réductionnisme rend aveugle. Chaque cas de sorcellerie est souvent différent d’un autre. Voilà pourquoi, l’explication du phénomène têtu de la sorcellerie demande la collaboration du THEOLOGIEN , du PHILOSOPHE, du PSYCHOLOGUE, du SOCIOLOGUE,  de l’ANTHROPOLOGUE, du PASTEUR, du SORCIER et de l’ENSORCELLE.

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Notre étude ne se contentera pas seulement de décrire le fait social (mariage), mais nous serons amené à expliquer les données empiriques et à leur donner un sens, car il y a toute une idéologie qui charrie ou dynamise le mariage. Et ce socle idéologique sur lequel se fonde le mariage doit être porté à la surface, car lui seul tisse le destin du mariage.

                                                             

            Pour ce faire, nous commencerons  par donner le milieu géographique et humain des Bahemba en général ; suivra la terminologie de parenté et de l’alliance chez les Bahemba. C’est après que nous parlerons du mariage coutumier comme processus dont la première étape est celle des fiançailles avec ses corollaires, allant de la préparation des jeunes en passant par les critères de choix et l’accord préalable des fiançailles pour aboutir à la pré-dot. La deuxième étape est constituée du versement de la dot et ses implications. La troisième étape est celle de la célébration du mariage constituée de différents moments.

 

            Le moment fort de notre travail se fera voir chaque fois que nous interviendrons pour signaler la place de la coutume dans tel acte ou mieux au moment où les représentations symboliques seront mises à jour, au moment où le champ idéologique sera le lieu des justifications, d’explications et de légitimation du mariage. Disons-le illico : le mariage traditionnel hemba est de l’ordre du sacré et du religieux. Nous tenterons, par ailleurs, de dresser un tableau d’interrelations entre les divers éléments de l’ensemble social de Bena-Mambwe où la coutume détermine en dernière échéance.

 

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vendredi 1 mai 2009

Les violences sexuelles faites à la femme, et ce sous toutes leurs formes, touchent la femme dans sa position dans le monde, dans son corps et dans son être (sa nature).

Ontiquement, les conséquences de la violence sexuelle laisse des traces visibles et lisibles sur le corps : organes sexuelles déformés, détruits, mutilés, perforés, etc. cette souffrance physique entraîne d’autres ; entre autres, celle d’ostracisme de la communauté. Pour avoir été violée, infectée du VIH/SIDA lors du viol,  soupçonnée d’avoir été violée et pour  avoir conçu lors du viol, elle sera exclue socialement,  répudiée par son mari et elle a moins de chance de trouver un mari dans l’avenir.

La déchirure physique engendre la déchirure psychologique. Le traumatisme et la haine viscérale contre les agresseurs rongeront leur être.

Ainsi, ontologiquement, la victime n’est plus elle-même. Elle devient étrangère à elle-même comme elle l’est devenue devant sa communauté. La déshumanisation- de la part des agresseurs et de l’isolement social- qui a fait d’elle un objet de rejet (de la part des agresseurs et de sa propre communauté) provoque en elle une déchirure ontologique se révélant par l’angoisse du destin, du vide et de l’absurde, y compris celle de la faute de la culpabilité. C’est le paroxysme de la        souffrance.

L’angoisse du destin et de la mort  poussera la victime à penser à la mort plutôt qu’à perdre son temps en vivant dans un monde hostile. La déchirure est en elle comme un « non-être », une pure négation de son être-là devant soi-même et la communauté ostraciste.

L’angoisse du vide et de l’absurde engendre la perte du sens de la vie. Celle-ci devient absurde au sens sartrien, i.e. non déductible par la raison, et même au sens athée où si Dieu existait, il ne permettrait pas de telles atrocité et humiliation humaine.

L’angoisse de la faute ou de la culpabilité fait surgir en la victime une fausse conscience lui faisant croire que tout ce qu’elle a vécu comme négativité ou négation de l’humanité en elle, serait la punition pour une faute commise soit par les siens soit par elle à l’égard d’ un  « on ne sait qui ou quoi », et ce dans une vie antérieure ou présente[1].

A dire vrai, « ces trois formes d’angoisse se présentent souvent au même moment et dans un même individu »[2].

Ces différentes formes d’angoisse atrophient l’être dans le chef de la femme et menace son  affirmation de soi. Et si celle-ci a été atteinte et éteinte, la femme expérimentera une quadruple irrécupération : celle de l’intégrité physique, psychologique, sociale et ontologique. Si le suicide physique ne s’ensuit pas, celui de l’humanité en sa personne est réalisé. C’est à ce niveau que tout traitement physiologique, que toute assistance sociale ou matérielle, que toute insertion dans une nouvelle communauté, semblent vain devant cette souffrante ontologique, car elle est blessée non seulement dans son corps, mais aussi dans son amour propre et dans son être (son essence),

             

De par les acteurs impliqués dans les violences sexuelles, le statut précaire de la femme, le paradigme de la violence  sexuelle comme arme de guerre et l’impunité, nous pouvons présenter la phénoménologie et la nature de la violence sexuelle



[1] Les défenseurs de la théorie de Samsâra_Karma (réincarnation, et loi de cause à effet) seraient cyniques s’ils font appel à cette théorie d’interprétation pour explique les atrocités dont les femmes ont souffert. Nous trouvons infondée la théorie de Samsâra-Karma quant à l’explication du mal, de la souffrance et de l’inégalité dans le monde.

[2] L. MPALA Mbabula, Où est Dieu ?Essai philosophico-théologique sur la souffrance de Job et du chrétien, Lubumbashi, 1990, p.7. et cf. MURA, G., Angoscia e esistenza, Roma, Città Nuova, 1982.

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