EDILIVRE vient de publier mon livre intitulé Pour une nouvelle narration du monde. Essai d'une philosophie de l'histoire. Prière de commander ce livre à cette maison d'édition se trouvant à Paris. PRÉFACE Il fut un temps, où l’on pensait que la philosophie était importante, voire indispensable pour la vie de la cité. Depuis, les avis ont bien changé. L’idée qui prévaut est que le monde continue de tourner et que la philosophie n’a pas ou plus son mot à dire. Dans son nouveau livre, Louis Mpala Mbabula entend changer notre conception du rôle légitime de la philosophie qui, selon lui, offre un réel espoir pour répondre aux aléas de la vie moderne. Mpala, bien qu’encore jeune, est déjà l’auteur de trois ouvrages conséquents: L’altermondialisme à l’assaut de la mondialisation (2007) ; Hegel et Marx face à l’histoire. Regard critique sur la philosophie de l’histoire (2011), et enfin Pour la démocratie prosôponiste (2013). Le présent livre provient de la refonte de sa thèse de doctorat, dont le titre d’origine était : Matérialisme historique, Altermondialisme et Utopies postmodernistes. Contribution à la philosophie de l’histoire. Mpala nous informe qu’il a jugé utile de changer de titre car, comme il le dit avec raison, chaque philosophie de l’histoire est aussi une narration du monde. Or le Matérialisme historique, l’Altermondialisme et la Postmodernité sont trois optiques actuellement très en vues pour comprendre le monde. Mpala, qui en prend acte, pense, lui, que les approches actuellement disponibles ont toutes vieillies. C’est pourquoi, il propose une quatrième narration du monde, qu’il appelle le Prosôponisme, créant par là-même un néologisme qui souligne l’importance accordée à la démocratie participative. L’intention de Mpala est claire et importante. Il s’agit de comprendre et de réagir utilement à la mondialisation en cours dans le monde contemporain. Depuis longtemps, ce phénomène a pris une forme résolument économique et délétère, quoique dise la thèse notoire de la main invisible. Or, comme bien d’autres, Mpala croit que la mondialisation constitue un obstacle de taille au bonheur de la plupart de l’humanité, de ces centaines de millions de personnes qui subsistent avec l’équivalent d’un Euro par jour. Une telle situation n’est un secret pour personne. Jusqu’à récemment, on a souvent essayé de réagir en se fondant sur le Matérialisme historique. Pourtant, ainsi que le relève Mpala, les temps ont changé : les vieux remèdes ne semblent plus appropriés. Si le contexte actuel n’est plus celui dont parlent Marx et Engels, il faut donc trouver une autre démarche, une autre solution, une autre façon de traiter le problème. Mpala comprend l’Altermondialisme comme un rayon d’espoir, une porte de sortie possible. Il pense que le slogan bien connu de ce mouvement (« Un autre monde est possible ») identifie une porte de sortie ouverte par la voie d’une alternative économique, solidaire et durable à l’idéologie mondialiste néolibérale prédominante. C’est clair et net : Mpala, philosophe engagé dans un monde qui en a hautement besoin, s’intéresse à la théorie non pas en tant que telle mais afin d’améliorer la pratique. Il veut à la fois savoir pourquoi les remèdes apportés jusqu’ici n’ont pas marché, tout en identifiant d’autres procédés possibles. Se rendant parfaitement compte de l’immensité du projet, il essaie de porter jugement sur ce qui a déjà été fait afin de discerner le chemin à suivre. Le problème de l’utilité de la philosophie attire l’attention depuis toujours. Kant p. e. pensait que la philosophie, ou du moins une certaine forme de philosophie, était socialement utile en tant que telle. Mpala, en penseur post kantien, est peut-être plus réaliste que le philosophe allemand. Il essaie de mobiliser une forme de philosophie qu’il juge potentiellement utile en pratique afin de transformer le monde. Il présente ainsi le fil conducteur qui anime ses travaux : « Nous devons penser autrement la manière d’habiter le monde pour parvenir à élaborer une nouvelle philosophie de l’histoire qui favorise l’avènement d’un « autre monde possible plus juste » qui sera actualisé par un modèle démocratique participatif et prosôponiste basé sur un nouveau paradigme, à savoir le paradigme de la rencontre. En effet, notre thèse consiste à montrer comment la construction d’un autre monde possible plus juste passe par une autre vision de l’histoire comme lieu de rencontre et processus où se vit la logique du contradictoire » (p.24). Cette thèse repose sur trois piliers : Tout d’abord, il nous faut de toute évidence une nouvelle philosophie de l’histoire qui favorise l’avènement d’un autre monde possible plus juste. Il est donc question d’une vision historique qui puise ses forces dans la capacité philosophique d’intervenir, non seulement dans le débat en cours, mais aussi et surtout dans le monde de tous les jours. Cela étant dit, Mpala choisit prudemment une voie médiane. Ce faisant, il se démarque des Kantiens qui pensent que la philosophie est automatiquement utile ainsi que des anti Kantiens, qui croient que la philosophie n’a aucune utilité pratique car elle n’intervient que sur le plan théorique ou tout au moins au « crépuscule », donc toujours trop tard pour être efficace. La tentative engagée par Mpala fait revivre une approche philosophique déjà bimillénaire. En prônant le rôle de la philosophie dans la cité, Socrate insistait déjà sur l’importance de réfléchir à la vie qu’on mène. De même que le maître de Platon, Mpala croit que la philosophie, du moins une certaine philosophie, est indispensable pour la vie de la cité. Il est clairement de l’avis que dans des circonstances propices, une pensée réfléchie pourra apporter sa pierre à la construction de l’édifice. Pour ce faire, Mpala invoque un nouveau modèle démocratique et participatif tant discuté à Porto Alegre et ailleurs. On se rappelle que le mouvement de démocratie participative, qui débuta dans les années 80, fit une percée précoce dans le sud brésilien à Porto Alegre. Ce résultat positif, qui inspira plus tard le mouvement d’occupation qui éclata dans les années 2010, inspire toujours Mpala comme solution possible. Enfin il y a une conception de l’histoire comme lieu de rencontre et processus de contradiction. Mpala ne croit pas au modèle platonicien où le philosophe est le seul à avoir accès à la vérité. Il est, par contre, partisan d’un débat entre des interlocuteurs face à face pour prendre en main le destin des hommes et des femmes. Le livre brosse un vaste tableau en quatre parties. Comme on ne peut procéder intelligemment qu’au prix de savoir d’où l’on vient, Mpala présente un vaste rappel très fouillé du matérialisme historique (Matérialisme), de l’altermondialisme (Altermondialisme) et du post modernisme (Utopies post modernistes). Ce rappel est suivi d’une quatrième partie où il est question d’un nouveau paradigme, de nouvelles perspectives de la philosophie de l’histoire (Contribution à la philosophie de l’histoire). Les trois premières parties du livre reprennent en les nuançant des analyses des mouvements existants. Il s’agit d’approches qui, pour une raison ou une autre, tombent toutes en dessous du désir manifeste de Mpala et de tant d’autres de ses contemporains de, osons-le-dire, transformer le monde. Ce n’est qu’enfin dans la quatrième et dernière partie du livre, ayant passé en revue les approches connues, qu’il formule sa nouvelle approche participative. La dernière partie du livre s’articule, elle, en trois chapitres. Le premier chapitre établit les rapports entre les trois approches recensées dans l’analyse précédente. Le deuxième chapitre porte sur une appréciation critique. Le troisième chapitre présente un nouvel humanisme, à savoir une nouvelle éthique pour le moment historique planétaire. Mpala situe son nouveau paradigme dans ce qu’il décrit comme la lutte de la reconnaissance. Ainsi à la fin de son étude, il revient vers Hegel, un Hegel revu et corrigé à la lumière du goût du jour, mais Hegel quand même, celui dont Marx est parti dans les années 1840 en pensant dépasser le monde moderne pour un nouveau monde possible et surtout meilleur que celui dans lequel nous vivons. Mpala, qui semble penser que le moment marxiste a vécu, est conscient des difficultés auxquelles le Matérialisme historiques a toujours mené. Afin de changer le monde, il change donc de paradigme en revenant au-delà du Marxisme à ses sources dans la tradition philosophique allemande. Hegel nous lègue deux idées de la plus grande importance, idées dont la tension permanente encadre en quelque sorte l’énigme complexe du monde moderne. Il y a, d’une part, l’analyse célèbre du rapport dialectique entre le maître et l’esclave. Or Hegel qui pensait que la philosophie n’arrive que trop tard, serait peut-être surpris de constater sa propre influence. Il n’est pas faux de dire que ses adeptes se confrontèrent sur le champ de bataille à Stalingrad. Son analyse du rapport entre le maître et l’esclave est souvent en question dans les mouvements de libération de nos jours. Il y a aussi, d’autre part, le concept d’identité puisé dans l’analyse épistémologique. Ce concept fonde pour ainsi dire la théorie hégélienne du monde moderne. Or selon le penseur berlinois, l’individu trouve son développement social ultime dans l’état moderne. Il n’y a donc aucun besoin de s’engager dans une révolution dont le résultat prévisible ne serait pas meilleur mais pire que la situation actuelle. Pourtant, la tension entre ces deux aperçus est palpable. La lutte de la reconnaissance suggère une situation révolutionnaire, ce que le concept d’État en tant que site de la reconnaissance de l’individu tend à nier. Si l’on ne peut atteindre la reconnaissance qu’en transformant le monde contemporain pour créer un monde nouveau, alors on ne pourra se passer d’une révolution. Mais s’il est possible de se reconnaître dans le monde moderne, le monde tel qu’il existe, ou encore en le réformant de quelque façon que ce soit, alors la réconciliation entre les hommes, ou bien la réconciliation de l’homme avec lui-même pourra s’accomplir en aménageant l’État actuel sans le détruire. Mpala, qui semble plus enclin à la réforme qu’à la révolution, appelle de ses vœux un monde nouveau dans lequel il sera possible de construire une démocratie participative qui à l’heure qu’il est fait souvent et très cruellement défaut. Espérons que l’histoire lui donnera raison car le monde contemporain en a vraiment besoin! Tom ROCKMORE Professeur Émérite de Duquesne University Professeur à l’Université de Pékin Pékin, jeudi 12 février 2015