Hegel nous permet de bien "lire"les événements politiques de la Tunisie et de la Côte d'Ivoire.

Laurent GBAGBO et Ben ALI SONT-ILS VICTIMES DE LA RUSE DE LA RAISON HEGELIENNE ?

ou

LA FIN DES HOMMES HISTORIQUES

 

 

 

 

Professeur Abbé Louis MPALA Mbabula

UNIVERSITE DE LUBUMBASHI

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

www.louis-mpala.com/abbelouismpala@yahoo.fr

 

 

 

Nous sommes convaincu que l’Histoire ne se répète pas, mais les événements historiques se ressemblent. Hegel, philosophe de l’histoire, a parlé de la Raison et de la Ruse de la Raison. Il n’a pas manqué de nous dire ce que sont les Hommes historiques ou les grands hommes. Il a pris soin de les prévenir quant à leur fin. Y a-t-il un déterminisme ? La question est ouverte. Sa philosophie de l’histoire peut nous servir de grille de lecture de notre histoire  et ce pour certains événements. C’est ainsi que  nous nous permettons  de « lire » les événements politiques de la Côte d’Ivoire et de la Tunisie. Nous  soumettons à l’appréciation du lecteur la justesse de la pensée de Hegel, et ce face à ce qui concerne Laurent GBAGBO et Ben ALI. Le texte que nous proposons est un extrait de notre livre sous presses dont le titre est Hegel et Marx face au sens de l’histoire.

 

1.      LA  RAISON DANS L’HISTOIRE MONDIALE

Hegel  est convaincu que « la raison domine le monde(…), la raison (-) est la substance, ce  pourquoi et en quoi toute réalité effective a son être et sa substance »[1]. De ce fait, dit-il, on doit « aborder l’exposé de l’histoire mondiale avec la foi en la raison, avec l’exigence, la soif de la connaissance »[2]. La soif de la connaissance nous permettra de savoir, selon Hegel, que « l’histoire mondiale universelle a été la marche nécessaire et rationnelle de l’esprit du monde ; - l’esprit du monde est l’esprit en général, qui [constitue] la substance de l’histoire, l’esprit un dont la nature est une et toujours la même, et qui explicite cette nature une qui est la sienne dans l’être-là du monde »[3]. Cette marche nécessaire et rationnelle de l’esprit du monde sera bien explicitée par Hegel. Humble, Hegel refuse de se prendre pour le premier philosophe à avoir cette « intuition ». Ainsi  il n’hésite pas à dire que « le Grec Anaxagore aurait été le premier à dire que le Noûs, l’entendement en général, ou la raison, gouverne le monde»[4].  Ceci étant, l’on est invité à retenir que la « raison est immanente à l’existence historique, et elle s’accomplit dans et par celle-ci »[5]. Cependant, enseigne Hegel, « pour connaître la raison dans l’histoire, ou bien pour connaître rationnellement l’histoire, il faut, à dire vrai, apporter la raison avec soi. Car la façon dont on considère l’histoire et le monde est aussi la façon dont à son tour le monde nous considère »[6] . Hegel insiste sur la foi en la raison ou sur le fait d’ « apporter la raison avec soi » si l’on veut réellement connaître rationnellement l’histoire. Celle-ci se veut le moment de la réalisation de l’esprit.

Pour se réaliser, l’esprit utilise certains moyens, à savoir les Hommes avec leurs Passions.

1.1. Les hommes comme moyens utilisés par la Raison           

            Les moyens sont « ce qui apparaît phénoménalement »[7] et pour comprendre que les hommes ou individus sont des moyens dont se sert la Raison, il faut voir leurs actions, et ce en partant « de leurs besoins, et de leurs passions, de leurs intérêts et des représentations, des buts qui se forment à partir de là, de leurs caractères et de leurs talents ; et on le fait de telle façon que, dans ce spectacle de l’activité, seuls ces besoins, passions, intérêts, etc. apparaissent comme les mobiles (Triebfedern). Les moyens sont parfois considérés comme extérieurs au but, cependant ils sont constitués de façon à exprimer le but, car il y a en eux un point commun avec ce but »[8]. Ceci  pousse Hegel à affirmer qu’ « en ce sens entièrement extérieur, les hommes ne se comportent guère comme des moyens au service de la fin de la raison. Non seulement ils satisfont, en même temps que cette fin et à l’occasion de celle-ci, les fins de leur particularité – des fins qui, par leur contenu, sont différentes de la raison – mais ils ont part à cette même fin, et c’est précisément par là qu’ils sont des fins en soi. Ils sont des fins en soi, et ce non pas seulement pour ce qui concerne la forme, comme c’est le cas pour les vivants en général (voyez Kant) dont la vie individuelle est, dans son contenu même, déjà subordonnée à la vie humaine – on l’utilise donc à bon droit comme moyen. Mais les individus sont aussi des fins en soi selon le contenu de la fin. C’est de cette détermination que relève justement ce que nous exigeons d’exclure de la catégorie de moyen : la moralité, l’éthicité, la religiosité. L’homme n’est fin en soi que par le divin qui est en lui, par ce que nous avons dénommé dès le début raison, et – comme raison active en elle-même, se déterminant elle-même – liberté »[9].

            Phénoménologiquement, argue  le philosophe de Berlin, les hommes apparaissent et la raison demeure invisible. Par leurs actions exprimant les besoins, suscitées par les passions, les intérêts, les représentations et des buts, les hommes expriment ou font la volonté de la Raison tout  en ayant part à cette fin. La question est celle de savoir s’ils en sont conscients. Nous en parlerons au moment opportun.

            Par ailleurs, il sied de faire savoir  que  les hommes, même s’ils sont des moyens, sont des hommes responsables, car ils sont libres, persiste et signe Hegel. Ainsi, « ce sont eux qui portent la responsabilité pour l’affaiblissement de la religion et de l’éthique, pour sa corruption et pour sa perte »[10]. De ce fait, les hommes doivent répondre de leurs actes. Et Hegel de conclure : « Tel est le sceau qui marque la destination élevée et absolue de l’homme : savoir ce qui est bien et ce qui est mal, et vouloir soit le bien, soit le mal – en un mot pouvoir être responsable, responsable non pas seulement du mal mais aussi du bien ; et responsable non pas de ceci et aussi de cela et de tout ce en quoi l’homme est et de ce qui est en lui, mais responsable du bien et du mal qui relèvent de sa liberté individuelle. Seul l’animal est véritablement entièrement innocent (unschuldig) »[11]. Comme on le devine, de par  sa liberté individuelle, l’homme est différent de l’animal auquel le maître d’Iéna  reconnaît une véritable et entière innocence en ce qu’il fait[12] . Parmi les hommes, il y a une catégorie des gens qui se distingueront des autres. Ce sont les grands hommes.

2. LES GRANDS HOMMES DANS L’HISTOIRE

            Les grands hommes dans l’histoire sont des individus historiques (Weltgeschichtliche Individuen) qui incarnent en eux l’esprit d’un peuple.          

Hegel  est convaincu que « chaque individu singulier est le fils de son temps, dans la mesure où son Etat est conçu comme en développement. Nul ne reste en arrière de ce temps, il est encore moins possible de sauter par-dessus lui. Cet être spirituel est le sien, il en est un représentant. Il est ce dont il vient et là où il se tient »[13]. Cette notion de temps fait appel à celle d’esprit d’un peuple pour appréhender la vraie nature du grand homme ou individu historique.  

Pour bien comprendre l’esprit d’un peuple Hegel parle de l’Etat et des Individus. Il écrit : « On a dénommé éthicité (Sittlichkeit) la vitalité de l’Etat dans les individus. L’Etat, ses lois et ses institutions sont les leurs, ce sont leurs droits. La nature de l’Etat – le sol, les montagnes, l’air et les fleuves – constitue leur propriété extérieure ; c’est leur terre, leur patrie. L’histoire de cet Etat, ses actes et les actes de leurs ancêtres sont les leurs, ils vivent dans leur souvenir, ces actes ont produit ce qui existe aujourd’hui, ils leur appartiennent – tout cela est leur possession, tout comme ils sont eux aussi en sa possession, car cela constitue leur substance, leur être. Leur imagination en est pleine, et leur volonté consiste à vouloir ces lois, et cette patrie. C’est cet ensemble spirituel qui constitue un [seul] être, l’esprit d’un peuple »[14]. Bref, l’esprit d’un peuple est défini « surtout par ses facteurs spirituels »[15]. J. Hyppolite consacre tout un chapitre à l’esprit d’un peuple  dans son Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel.[16]

Comme on peut le remarquer, « l’esprit d’un peuple est donc un esprit déterminé et son acte consiste à faire de soi, dans l’espace, et dans le temps, un monde présent. Tout est œuvre du peuple. Sa religion, ses lois, ses langues, ses coutumes, son art, les événements qui lui arrivent, ses actes et ses attitudes à l’égard des autres peuples constituent son acte. Et chaque peuple n’est pas autre chose que cette œuvre. Cette conscience, chaque peuple l’a aussi (…). Le peuple met donc en avant ses institutions et ses actes, car c’est là son être, c’est ce qui constitue la substantialité, le sentiment de soi d’un peuple, quand bien même certains individus n’auraient pas pris part à ces institutions ou à ces actes. Cette œuvre est ce qui subsiste. »[17].

 Puisqu’il en est ainsi, « l’individu, au dire de Hegel, doit se l’approprier, c’est-à-dire se conformer à elle et savoir que, dans le tout, il y a également l’aspect de l’individu. L’individu trouve alors devant soi cette œuvre comme un monde achevé qu’il doit s’incorporer (…). Si nous considérons la période de cette production, [nous voyons qu’] en elle un peuple vit pour son œuvre »[18]. Les grands individus historiques, fils de leur temps, appartenant à un peuple donné et conscients de faire leurs  ce qui est de leur peuple, produisent de « nouvelles situations dans le monde, des situations qui semblent d’abord ne correspondre qu’à leurs fins [propres], leurs produits, leur déterminité, leur passion. C’est leur (pathos). Ils le veulent à titre d’universel »[19].

Comme ils incarnent l’esprit de leur peuple, « tous se rassemblent autour des bannières de tels héros, parce qu’ils expriment ce que le temps exige»[20]. Voilà leur spécificité ou mieux leur « charisme ».

Ces héros sont « les plus perspicaces dans leur monde. Ils comprennent au mieux ce qu’il s’agit de faire. Ce qu’ils veulent et font est juste et légitime, quoique cela apparaisse comme leur affaire, leur passion, leur libre arbitre, parce que les autres ne le savent pas encore ce qui est juste. Mais ils doivent nécessairement (müssen) obéir, parce qu’ils le sentent, parce qu’intérieurement il s’agit déjà de leur affaire, laquelle ne parvient que maintenant à l’être-là »[21].

Perspicaces et meneurs d’hommes, ces individus historiques ou héros tiennent des discours et ont des actions qui expriment « ce que requiert le temps, ce qui est vrai, ce qui est nécessaire. C’est seulement par là qu’ils ont une autorité dans le monde, parce qu’ils veulent ce qui est le droit. »[22].

Selon Hegel, ces Héros ont la représentation correct de ce qu’est le droit, « mais ce n’est d’abord que leur représentation»[23]. Cependant, étant les moyens dont se sert la Raison, ils ont des passions et la ruse de la Raison se joue d’eux.

3. ROLE DE LA PASSION ET LA RUSE DE LA RAISON

            Hegel part d’un constat, à savoir que « rien de grand ne s’est produit dans le monde sans passion »[24].

En outre, Hegel enseigne que « l’histoire se fait autrement que ne le veulent les hommes, quelle que soit d’ailleurs leur volonté, et quels que soient leurs buts. Le progrès lui-même se réalise dans le dos des individus et même souvent contre leur volonté. »[25]. Selon les propres mots de Hegel, « en général, dans l’histoire mondiale, il sort des actions des hommes autre chose encore que ce qu’ils prennent pour but et atteignent, autre chose encore que ce qu’ils savent et veulent immédiatement. Ils accomplissent leur intérêt, mais quelque chose de plus se produit encore, qui est aussi dedans, intérieurement, mais qui ne se trouvait pas dans leur conscience et dans leur intention »[26]. C’est à ce niveau que passions et ruse de la Raison se côtoient et ne se séparent pas.

Passion et Ruse de la Raison reconnues, Hegel est persuadé que « derrière le vacarme, derrière la bruyante surface des phénomènes »[27] se trouverait « une œuvre intérieure, silencieuse et secrète, dans laquelle serait emmagasinée la force des phénomènes et à laquelle tout profiterait, en faveur de laquelle tout serait advenu »[28]. Il s’agit de la Raison. Celle-ci, à l’œuvre, marche vers sa réalisation. Silencieuse et secrète, elle mène la barque historique ou mieux elle  se réalise progressivement grâce aux et à l’insu de Grands hommes ou  les Individus historiques, Héros ayant des passions, des fins, des intérêts particuliers et  cherchant à satisfaire leur avidité personnelle. Passion, fins, intérêt, satisfaction de l’avidité sont cependant d’une violence extrême[29]. « Leur puissance vient de ce qu’ils ne respectent aucune des bornes que le droit et la moralité veulent leur imposer »[30]. La violence est inscrite dans l’histoire et trouve ici sa justification.

Ainsi de la  contemplation du spectre donné par les passions, « lorsque nous voyons à quoi mène leur violence, et quelle incompréhension s’associe non pas seulement à ces passions, mais aussi, et même surtout, à ce qui est pétri de bonnes intentions, de buts justes ; lorsque devant nos yeux, dans l’histoire, nous trouvons le mal, la méchanceté, la destruction des formations de peuples et d’Etats les plus nobles [qui soient], l’effondrement des règnes les plus florissants qu’ait produit l’esprit humain, nous ne pouvons – lorsque nous considérons les individus, avec une sympathie profonde pour leur détresse sans nom – que finir par  nous affliger, surtout de cette caducité ; et plus encore, nous affliger moralement d’un tel spectacle, avec l’indignation d’un bon esprit, si nous en avons un, parce que cet effondrement-là n’est pas seulement l’œuvre de la nature, mais de la volonté de l’homme »[31]. Et pourtant il en est ainsi.

Les Individus historiques sont bien impliqués dans leurs intérêts, passions et fins. A ce propos Hegel écrit : « Pour que j’en vienne à faire de quelque chose un acte, quelque chose qui existe, il faut que cela m’importe, que je sois moi-même impliqué. C’est – moi qui veut être satisfait par l’accomplissement – ce doit être mon intérêt. Intérêt, cela veut dire « être dans », « y être ». Une fin pour laquelle je dois agir doit également être ma fin, peu importe de quelle façon. Je dois en même temps y satisfaire ma fin, même si la fin pour laquelle j’agis a encore beaucoup d’autres aspects dans lesquels elle ne m’importe en rien »[32]. Ces héros trouvent ainsi satisfaction en ce qu’ils considèrent comme leur travail.

Les besoins de ces Héros sont, entre autres, ce qui concerne leur propre volonté, leurs propres vies, leurs convictions, leurs propres opinions. « Les hommes exigent alors aussi que, s’ils doivent agir pour une cause, celle-ci leur plaise, de façon générale. Ils veulent être impliqués en elle par leurs opinions, par leur conviction que la cause est bonne ou encore qu’elle est juste, utile, avantageuse pour eux, etc. (…) »[33]. Ces héros sont des sujets libres et donc responsables de ce qu’ils font, car cela leur plait.  

De là, Hegel tire la conclusion : « Nous disons donc ainsi que rien, absolument rien n’est advenu sans l’intérêt de ceux dont l’activité a participé à l’opération. »[34]. Cet intérêt se nomme, pour Hegel, passion.

En effet, là où il y a passion, « l’individualité entière se met dans un seul objet de toutes les fibres intimes de son vouloir, concentrant dans ce but tous ses besoins et toutes ses forces »[35]. Ainsi  seront-ils capables de produire de grands exploits.

            De ce qui précède, Hegel dira volontiers que « rien de grand ne s’est produit dans le monde sans passion. – La passion constitue le côté subjectif et, dans cette mesure, formel, de l’énergie du vouloir et de l’activité, alors même que le contenu ou le but sont encore indéterminés »[36]. Le concept de passion chez le philosophe de Berlin est très capital. Il nous permet de comprendre la nature des individus historiques.

Et Hegel insiste, par ailleurs, en disant que « la passion est la détermination de l’homme tout entier, ce qui donc le sépare et le distingue des autres, ce par quoi l’individu est tel ou tel et non pas un autre. Tout être humain est un être déterminé, particulier, c’est ainsi seulement qu’il est effectivement réel (…). La fin, alors, n’est pas ce qui est choisi, mais justement, ce qui procède de la déterminité de la passion. La passion signifie donc ici la déterminité de l’homme »[37]. Comme la passion s’avère être la déterminité de l’homme,  alors on comprendra pourquoi Hegel affirmera que « dans l’histoire, nous n’avons pas affaire à des individus qui ont certaines intentions, puis accouchent soit de souris soit de mouches, mais c’est le vacarme bariolé des passions que nous trouvons face à nous »[38]. Hegel est un grand connaisseur de l’individu historique. Devant nous il l’expose.

De ce fait, Hegel n’hésite pas à nous révéler comment agissent les Grands hommes : ils agissent pour se satisfaire, non pas pour satisfaire les autres. « S’ils voulaient satisfaire les autres, ils auraient beaucoup à faire, car les autres ne savent pas ce qui est requis par le temps, ils ne savent pas ce qu’ils veulent eux-mêmes. Les grands individus savent donc ce dont le temps a besoin, ils le veulent et ne trouvent qu’en cela leur satisfaction. Ils sont donc tels qu’en cela, ils satisfont leur propre concept, et c’est ainsi que ce concept apparaît comme leur passion. Mais par là ils rassemblent alors les peuples autour d’eux, et ceux qui renâclent, qui restent fidèles à l’ [ordre] ancien, périssent. On est impuissant à résister à ces individus »[39]. Leur force se trouve dans le savoir : ils savent ce qui est requis par le temps et ce qu’ils veulent eux-mêmes. Savoir et  vouloir se rencontrent pour engendrer la satisfaction.  En est-il ainsi de la part de la Raison ? Non,  car Hegel nous fait savoir que les Hommes historiques, moyens dont se sert l’esprit pour se réaliser dans l’histoire mondiale, ne savent pas réellement ce qu’ils font et dans quel but, car « le côté subjectif, la conscience, n’est pas encore en possession de ce qui lui permettrait de savoir ce qu’est la pure fin ultime (Endzweck) de l’histoire, le concept de l’esprit (…). N’en étant pas conscient, l’universel est quand même dans les buts particuliers, et c’est par ces mêmes buts qu’il se réalise »[40]. Ici, Hegel voit mieux que les  Hommes historiques. C’est ainsi qu’il  parlera de la Ruse de l’esprit ou de la raison qui est à l’œuvre dans l’histoire : « En général, dans l’histoire mondiale, il sort des actions des hommes autre chose encore que ce qu’ils prennent pour but et atteignent, autre chose encore que ce qu’ils savent et veulent immédiatement. Ils accomplissent leur intérêt, mais quelque chose de plus se produit encore, qui est aussi dedans, intérieurement, mais qui ne se  trouvait pas dans leur conscience et dans leur intention »[41]. Oui, martèle Hegel, « la ruse trouve toujours des moyens pour atteindre ses fins »[42].  S’il en était réellement ainsi, quel pourrait être leur destin ?  Hegel  nous révèle que ces grands hommes n’ont pas un destin glorieux. Pourrait-il en être autrement ?

4. DESTIN DES HOMMES HISTORIQUES OU DES GRANDS HOMMES

            Le destin de grands hommes est à comprendre dans la « connexion véritable entre la passion et l’Idée »[43].

Pour Hegel, ces grands hommes (ex : César, Alexandre le Grand) ont eu « la chance d’être les gérants d’un but, d’un degré dans la progression en cours de l’esprit universel »[44]. Cette fonction de « gérance » n’épargne pas les grands hommes d’un certain destin  peu enviable. Hegel, parlant de la fin de l’Idée, nous dira ce qu’est réellement (ou a été) le  destin de ces gérants du but de l’Idée. En effet, souligne Hegel, « la fin de l’Idée et le contenu de la passion constituent de la sorte une seule et même chose. La passion est l’unité absolue du caractère et de l’universel. Dans de grands individus, elle apparaît comme quelque chose d’animal, en quelque sorte, si bien que leur être est, comme esprit et comme [détermination] naturelle, tout en un, et que cette unité constitue leur force. Puisqu’ils sont irrésistiblement poussés à faire ce qu’ils font, ils se donnent satisfaction. Ainsi ils satisfont leur passion. [Cependant]  les grands hommes n’ont pas été heureux. Car ou bien ils se sont donné beaucoup de mal, ou bien, à l’instant où ils réalisaient ce qu’ils avaient voulu, ils sont morts, ont été tués ou déportés. Leur personnalité se sacrifie, leur vie entière n’a été qu’un sacrifice. Et le fait qu’ils n’aient pas été heureux est une consolation pour ceux qui ont besoin d’une consolation de cette sorte »[45]. Savaient-ils qu’ils finiraient ainsi ? Non. La Raison s’est servi d’eux pour sa propre progression et réalisation.

Laurent GBAGBO et Ben ALI étant considérés comme Hommes historiques, ceux qui savent comment ils sont arrivés au pouvoir  peuvent se rendre compte qu’une certaine cécité (Ruse de l’histoire ?) les empêche de « voir », d’ « écouter » et de « comprendre » qu’ils ne sont plus ce qu’ils furent. N’ayant pas prévenu le « désordre » et voulant le « réprimer » une fois qu’il est là, Ben ALI a vu avec retard mais à temps sa «  mort physique » et a trouvé sa vie « sauve » dans la fuite (in fuga salus). Hegel dirait qu’il est « déporté » ou mieux qu’il s’est exilé. La chute de Ben Ali doit faire réfléchir. Qu’en est-il de Gbagbo ? Attendons voir. Faut-il attendre ou partir ? La décision ( ?) lui revient. Est-il réellement libre dans sa prise de décision ou est-il victime de la Ruse de la Raison dont la voix se fait entendre à travers ses CONSEILLERS sourds et aveugles ? Quand l’heure ou la cloche sonne, il faut savoir partir.

Moubarak, en Egypte, est-il aussi victime de la ruse de la Raison hégélienne? Il est temps et son temps a eu lieu; il a tout intérêt à plier bagage sous peine de connaître la mort ou l'exil. Quel degré d'alcol contient-il le "lait" du pouvoir pour être ivrogne de telle sorte que l'esprit sombre dans le noir de l'obscurité et les oreilles deviennent sourdes?

 

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

HEGEL, .G.W.F ,- La philosophie de l’histoire, édition réalisée sous la direction de

                           Myriam Bienenstock, traduction française de Myriam Bienenstock,

                           Christophe Bouton, Jean-Michel Buée, Gilles Marmasse et David

                           Wittmann, appareil critique de Norbert Waszek, Paris, Librairie

                           générale française, 2009.

 

 

HYPPOLITE, J. , Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel, Paris, Librairie

                         Marcel Rivière et Cie, 1948.

 



[1] G.W.F. HEGEL, La philosophie de l’histoire, édition réalisée sous la direction de Myriam Bienenstock, traduction française de Myriam Bienenstock, Christophe Bouton, Jean-Michel Buée, Gilles Marmasse et David Wittmann, appareil critique de Norbert Waszek, Paris, Librairie générale française, 2009,

 p.  54.

[2] Ib., p.  55. Nous  soulignons.

[3]Ib., p.   55.

[4] Ib., p.  56.

[5] Ib., p.  71-72.

[6] Ib., p.  127. Nous  soulignons.

[7] Ib., p.  65

[8] Cf. Ib., p. 75

[9] Ib., p. 75. Nous  soulignons.

[10] Ib., p.  75

[11] Ib., p.  75-76

[12] En lisant le philosophe de Berlin, si l’on est de bonne foi ( ?), il y a  de quoi identifier l’animal innocent à l’Africain, « homme à l’état brut », chez qui on ne trouve rien «  dans son caractère qui s’accorde à l’humain » et en qui on a «  ce qu’on a appelé l’état d’innocence » (souligné par Hegel), etc. Hegel est honnête avec lui-même même quand il affirma que « l’homme n’est vraiment homme que lorsqu’il connaît le bien (…). Il ne peut en effet connaître le bien que lorsqu’il connaît aussi le mal ». Or l’homme africain de Hegel est celui qui est dans « l’état d’innocence de soi (…). Ce premier état naturel est un état animal » (G.W.F. HEGEL, La raison dans l’histoire). Mais Hegel ne fixe pas pour toujours son africain à cet état. L’esprit ne s’arrête pas à ce point.  

[13]Ib., p. 80. Nous  soulignons.

 

[14] Ib., p.79-80. Nous soulignons.

[15] J. HYPPOLITE, Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel, Paris, 1948, p. 21.

[16] Cf. Ib., p. 15-23.

[17]  G.W.F.HEGEL, o.c., p. 145.  Nous soulignons.

[18] Ib., p. 145

[19] Ib., p. 163.  Nous soulignons.

[20] Ib., p.164.  Nous soulignons.

[21] Ib., p.164.  Nous soulignons.

[22] Ib., p.164.  Nous soulignons.

[23] Ib., p.164.  Nous soulignons.

[24] Ib., p.  70.

[25] M. BIENENSTOCK,  Présentation  du G.W.F.HEGEL, o .c. , p.24.

[26] G.W.F.HEGEL, o .c. ,  p.  72.

[27]Ib., p.  126.

[28]Ib., p.  126-127.

[29] Cf. Ib., p.  66.

[30] Ib., p.  66.

[31]  Ib., p.66. Nous soulignons.

[32]  Ib., p.68. Nous soulignons.                                                                                                              

[33]  Ib., p.69.  Nous soulignons.

[34]  Ib., p.69. Nous soulignons.

[35] Ib., p.  70.

[36]  Ib., p.70.  Nous soulignons.

[37]  Ib., p.157.  Nous soulignons.   

[38] Ib., p.157.   Nous soulignons.

[39] Ib .p. 165.   Nous soulignons.

[40] Ib .p. 72.     Nous soulignons.

[41] Ib., p.72.                                                                                                                       

[42] Ib., p. 176. Nous soulignons.

[43] Ib .p. 165.  Nous soulignons.

[44]  Ib .p. 74.   Nous soulignons.

[45]  Ib .p. 165. Nous soulignons.