Lettre pastorale de Noël 2007

Quoique l’information circule assez difficilement dans le monde rural qui est le nôtre, il est désormais une évidence que le VIH/sida existe bel et bien. Il est loin d’être une invention de l’imaginaire collectif qui ironise à travers les expressions suivantes : « Syndrome inventé pour décourager les amoureux », « Syndrome défini artificiellement » ou « Syndrome de déficience énergétique acquis » ou encore « Salaire insignifiant difficilement acquis », etc. Il cause beaucoup d’ennuis à l’humanité. Il infecte, affecte et tue. Il humilie le genre humain, déstabilise la société et défie la vie humaine, en villes comme dans les villages. Il est présent dans tous les cinq continents du globe. Toutefois, notre continent africain est, hélas, le vivier le plus propice de sa croisade meurtrière. Les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) renseignent que plus de 70% des personnes touchées sont des Africains et que dans ce continent, c’est surtout par la voie des relations sexuelles que le VIH/sida se transmet. Nombreux sont des veufs, veuves et orphelins rendus tels par la mort causée par ce tragique fléau.  Il est attesté que la jeunesse, « cuvette de l’espoir » (15 à 45 ans) est la couche sociale la plus touchée.

 

          DIOCESE DE KILWA KASENGA

B.P. 74 / KILWA

 (Par Lubumbashi)

République Démocratique du Congo

 

 

 

 

 

 

“CHOISIS DONC LA VIE…” (Dt 30,19)

Une réponse chrétienne à la pandémie du VIH/sida

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                Lettre pastorale de Noël 2007

 

 

 

 

 

 

« En vérité, les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre plus fondamental, qui prend racine dans le cœur même de l’homme. C’est en l’homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D’une part, comme créature, il fait l’expérience de ses multiples limites ; d’autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire : faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu’il ne veut pas et n’accomplit point ce qu’il voudrait. En somme, c’est en lui-même qu’il souffre division, et c’est de là que naissent au sein de la société tant et de si grandes discordes ». (Gaudium et spes, n. 10, §1).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

0. INTRODUCTION

 

Aux prêtres,

Aux religieux et religieuses,

Aux fidèles du Christ,

Aux personnes de bonne volonté.

 

Frères et sœurs,

 

1. Que la grâce et la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père (Cf. Col.1,1), manifesté dans son Fils Jésus, « Verbe fait chair »(Jn 1,14) dans le sein de la Vierge Marie.  L’Incarnation du Verbe de Dieu a dissipé les ténèbres épaisses qui voilaient notre humanité. C’est à juste titre que le prophète Isaïe s’est écrié: « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi » (Is. 9,1). 

 

Cette parole du prophète est encore d’une actualité brûlante. Car, en effet, notre monde d’aujourd’hui a plus que jamais besoin de la lumière pour discerner la volonté et les voies du Seigneur.  Les mutations en cours bousculent les certitudes et mettent les disciples du Christ devant des choix décisifs. Dans ce contexte, il nous faut nous tourner vers l’Emmanuel pour nous laisser éclairer au plus intime de nous-mêmes et affronter courageusement les défis actuels de la foi. Cette démarche s’impose par la force des choses, dans la mesure où le Fils de Dieu, venu habiter parmi nous, est véritablement lumière « qui éclaire tout homme » (Jn 1,9).

 

2. Illuminés par l’Emmanuel, nous avons la grâce d’être guidés dans nos choix existentiels. Mais sans s’imposer le Seigneur, lui, nous propose un chemin à suivre.  Bien qu’il soit « grand et redoutable » (Dn 9, 4), il n’abuse pas pour autant de sa puissance sur nous. Il ne nous impose rien. Il suggère et fait confiance. C’est un Dieu libre et respectueux de notre liberté. En conséquence, notre relation à Lui doit être une relation de liberté qui nous invite toujours à décider librement, mais dans un esprit de responsabilité, soutenus par sa grâce qu’Il nous accorde gratuitement.  Telle est l’une des merveilles du Dieu de Jésus-Christ, en tout cas une des beautés de notre religion que l’Enfant de Noël vient nous rappeler encore une fois cette année.

 

3. L’infection à VIH et le SIDA sont parmi les défis majeurs dans notre société. Les cas de décès et le nombre de personnes infectées ne cessent d’augmenter. Un malaise social et une inquiétude liés à cette pandémie s’installent dans l’opinion publique. Aussi, dans le contexte de la lutte contre ce tragique fléau, qui a fait son irruption depuis les années 80, nous sommes souvent sollicités par plusieurs campagnes de sensibilisation. Chacune nous propose sa philosophie et ses moyens de lutte. Pour les unes, c’est « la fin qui justifie les moyens » ; pour les autres une certaine éthique dans la lutte est indispensable. Les violons sont loin de s’accorder, notamment quant aux moyens de prévention contre ce terrible fléau. Face à ce manque d’unanimité, d’aucuns perdent la tranquillité de leur conscience et se retrouvent confrontés à d’atroces déchirements intérieurs.  Avec Saint Augustin on pourrait presque dire : « Entre mes joies (j’ai à les pleurer !) et mes peines, dont il faudrait me réjouir, il y a un conflit, sans que je sache de quel côté penche la victoire ».

 

En outre, il existe, autour de cette pandémie, des rumeurs, des dits et des non dits, des illusions, des faux espoirs, des attitudes, des comportements qui, conjugués à une ignorance fort déplorable entraînant l’infection massive, sinon la mort de plusieurs personnes, ne font pas avancer la lutte dans notre société.  Assurément, nous faisons face à un problème complexe.

 

4. Au regard de l’ampleur du drame et des conséquences qui en découlent, l’Emmanuel, vie et lumière des hommes (Cf.Jn 1,4), nous indique le chemin de la vie (Cf. Dt 30,19), parce que lui-même est précisément « le Chemin, la Vérité et la Vie »(Jn 14, 6).  Il est venu dans ce monde pour que nous ayons la vie et la vie en abondance (Cf. Jn 10,10). Voilà pourquoi, fidèle à la pratique des saints Apôtres et des Pères de l’Eglise, je vous adresse cette modeste lettre pastorale, coiffée d’un titre qui exige une décision. « Choisis donc la vie… » (Dt 30, 19) est une alternative aux tendances actuelles de la lutte contre le VIH/sida dans notre société. C’est une proposition de réponse chrétienne à cette pandémie, un appel à une prise de responsabilité dans les circonstances actuelles.

 

5. En tant que Pasteur, je me refuse de me limiter à indiquer un certain nombre d’interdits. D’une façon ou d’une autre, ce serait comme si je contribuais à perpétrer une image caricaturale de l’Eglise de Jésus-Christ qui circule dans certains milieux. L’Eglise, en effet, n’est pas un lieu d’énumération des interdits, de torture de consciences. C’est un lieu de vie, de liberté et de libération, de choix responsable. L’Eglise, a dit Vatican II, est « sacrement universel du salut »[1]… Sur ce fond, je vais m’efforcer de vous informer et de former votre conscience, pour vous habiliter à faire un choix libre, lucide, sensé faire accroître la vie en vous et dans votre milieu.

 

Par fidélité au Christ, en âme et en conscience, j’enseigne ce que je crois[2], ce qu’enseigne l’Eglise de Dieu, sacrement de salut et corps du Christ. Mon souhait le plus ardent est que ce choix vous aide à acquérir un réflexe de la résistance contre la pandémie du VIH/sida ou, tout au moins, qu’il vous donne une énergie spirituelle de lutte contre ce fléau.  Deux raisons justifient cette prise de responsabilité. 

 

D’une part, avec un cœur de Pasteur, je suis peiné de constater que, comme au temps du prophète Osée, « mon peuple périt, faute de connaissance » (Os. 4,6). Je le redis, cette ignorance qui entoure le VIH/sida est tragique. Le tribut à payer est lourd. Elle voile l’esprit de beaucoup de gens parmi nous. C’est probablement une des raisons principales de la propagation de ce fléau dans notre milieu. Il est urgent de la combattre.

 

D’autre part, l’information et la formation sont susceptibles de nous amener à adopter un comportement conséquent, de combattre l’ostracisme, la discrimination et la stigmatisation qui, hélas, frappent certains frères et sœurs touchés par cette pandémie. Un comportement responsable consiste à vivre notre sexualité dans l’épanouissement et dans la dignité, mais de façon responsable. Cela revient à dire que la prise de conscience de l’existence du VIH/sida, de ses voies de contamination et des moyens adéquats de protection, doit nous conduire à lui barrer la route en conformant notre conduite au Seigneur de la vie. C’est ici le lieu de rappeler que seule la conversion des mentalités et des cœurs peuvent véritablement nous amener à vaincre le VIH/sida. De cette manière, il nous sera utile non seulement de nous protéger nous-mêmes, mais aussi de convertir notre regard sur cette pandémie et sur les personnes qui en souffrent.  

 

A cause de la prolifération de fausses sécurités, des illusions et des campagnes tendancieuses, je rappellerai avec force les valeurs chrétiennes et culturelles qui sont les nôtres, non pas pour surcharger votre conscience ou susciter la polémique, mais parce que les valeurs font partie de notre identité chrétienne et africaine. De plus, elles me semblent le meilleur remède contre ce fléau. La mission, a dit le Pape Jean-Paul II, « est une reprise à son compte des valeurs… »[3]. Ma démarche se veut donc à la fois pédagogique et prophétique.  

 

I. LE VIH/SIDA EST LA !

 

Il me semble d’emblée utile de souligner que le VIH/sida existe. Il fait partie désormais de notre univers d’existence. Il faut en avoir au moins une idée pour le combattre, à tout prix, dans la vérité et le respect de la dignité de la personne humaine.  

 

L’essentiel à savoir

 

6. Quoique l’information circule assez difficilement dans le monde rural qui est le nôtre, il est désormais une évidence que le VIH/sida existe bel et bien. Il est loin d’être une invention de l’imaginaire collectif qui ironise à travers les expressions suivantes : « Syndrome inventé pour décourager les amoureux », « Syndrome défini artificiellement » ou « Syndrome de déficience énergétique acquis » ou encore « Salaire insignifiant difficilement acquis », etc. Il cause beaucoup d’ennuis à l’humanité. Il infecte, affecte et tue. Il humilie le genre humain, déstabilise la société et défie la vie humaine, en villes comme dans les villages. Il est présent dans tous les cinq continents du globe. Toutefois, notre continent africain est, hélas, le vivier le plus propice de sa croisade meurtrière. Les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) renseignent que plus de 70% des personnes touchées sont des Africains et que dans ce continent, c’est surtout par la voie des relations sexuelles que le VIH/sida se transmet. Nombreux sont des veufs, veuves et orphelins rendus tels par la mort causée par ce tragique fléau.  Il est attesté que la jeunesse, « cuvette de l’espoir » (15 à 45 ans) est la couche sociale la plus touchée.

 

7. La République Démocratique du Congo, notre pays, n’en est pas épargnée. Le VIH/sida y est présent et décime une bonne partie de notre population. Ses ravages sont aggravés par les guerres qui s’y succèdent et la pauvreté généralisée[4]. Les statistiques officielles parlent d’une moyenne de 7% de notre population qui serait infectée. Parmi toutes les provinces du Congo, le Katanga est la plus touchée par cette pandémie, principalement à cause de sa position géographique par rapport à l’Afrique australe, où le taux de prévalence est fort élevé, mais aussi à cause de la dégradation morale qui caractérise notre société. La présence des foyers d’exploitation minière, surtout artisanaux, où la dépravation des mœurs est fort inquiétante, est aussi un des facteurs aggravants dans notre province. Notre diocèse de Kilwa-Kasenga enregistre un certain nombre des cas d’infection à VIH/sida.  La porosité de notre frontière avec la Zambie voisine qui, comme on sait, a un taux de prévalence assez élevé, est un facteur aggravant.

 

8. A ce jour, en dépit des efforts très louables de chercheurs, il importe de noter qu’il n’existe pas encore de vaccin pour soigner le VIH/sida. Cependant, d’une part, avec la force de la volonté, la détermination on peut l’éviter et échapper ainsi aux nombreux ennuis qu’il cause au genre humain.  D’autre part, les personnes infectées à VIH n’ayant pas encore atteint un certain stade de la maladie peuvent vivre normalement pendant un certain temps, au moyen d’un traitement approprié, avec des anti-rétroviraux (ARV).

 

Se fier aux explications scientifiques

 

9. Un tas d’informations sur le VIH/sida circulent dans notre milieu. Toutes ne sont pas vraies. A cela s’ajoutent des rumeurs qui, parfois, nourrissent de fausses promesses de guérison, de faux espoirs et des illusions, surtout chez les jeunes.  Il y a encore des gens qui pensent que le VIH/sida est une maladie imaginaire. D’autres pensent que c’est une maladie de la ville. D’autres encore croient dur comme fer que le condom ou capote anglaise est la solution idéale contre la pandémie du VIH/sida. On raconte qu’il existe des pasteurs de certaines communautés de foi (sectes) qui guérissent le SIDA par l’imposition des mains, la prière et le jeûne. Certains guérisseurs traditionnels, sans doute peu scrupuleux, qu’on appelle ici « docteurs du bois », se disent capables de guérir toutes les maladies, y compris le SIDA. Une certaine opinion renseigne qu’on peut guérir en buvant un litre d’huile végétale par jour ou en mangeant beaucoup de légumes. Les rumeurs de ce genre prolifèrent.

 

En plus de susciter des comportements à risque, le manque de connaissances sur cette pandémie engendre parfois des attitudes peu charitables à l’égard de nos frères et sœurs touchés par cette pandémie : stigmatisation, discrimination, ostracisme, mépris, moquerie, etc. Ces attitudes sont contraires à notre foi et à notre culture africaine. Je les condamne avec fermeté.

 

Il sied de savoir que, n’étant pas une institution de recherche scientifique, l’Eglise n’a pas une théorie propre sur la nature, le fonctionnement et le mode de transmission du VIH/sida. Elle s’en tient avec discernement aux résultats de toute recherche scientifique sérieuse, sans les canoniser[5], dans la mesure où ils ne contredisent pas le donné révélé. C’est pourquoi, je vous exhorte à ne vous fier qu’à ce qui est conforme aux données scientifiques.  En conséquence, il est utile de vous rapporter aux explications des professionnels de la santé et des personnes avisées. Les informations de la rue et les rumeurs peuvent provoquer des égarements fort dommageables à notre société.  De même, si les guérisseurs traditionnels peuvent quelque fois soulager certaines maladies opportunistes que développent les personnes infectées par le VIH/sida, je ne suis pas convaincu qu’ils sont spécialisés pour diagnostiquer cette pandémie et en comprendre tous les contours.  Bien qu’ils fassent partie de notre univers, il faut se convaincre qu’ils ne sont pas suffisamment outillés pour faire toute la lumière sur ce fléau, moins encore le guérir.  

 

Quant aux « pasteurs » qui prétendent guérir le VIH/sida avec des moyens spirituels, il est nécessaire de savoir qu’il n’est pas permis de tenter Dieu jusqu’à ce point. Dieu est respectueux des lois de la nature. Bien évidemment, les miracles sont possibles aujourd’hui. Mais ils sont rares, voire rarissimes. Ils ne sont attestés authentiques qu’après beaucoup d’études. Il y a des conditions pour parler de miracles dans le domaine de la foi. Je ne suis pas sûr que les pasteurs thaumaturges les remplissent. Je vous invite donc à la prudence.  Il est utile de savoir, au préalable, ce que c’est que le VIH/sida.

 

Nature

 

10. Le VIH/sida est une épidémie mondiale qui a fait irruption dans le monde depuis les années 80. Il existe beaucoup d’hypothèses sur ses origines. A-t-il était fabriqué en laboratoire ou est-il né en Afrique ou ailleurs ? Nous n’en savons encore rien avec précision. Le seul constat est qu’il est là.

 

VIH signifie Virus de l’immunodéficience humaine. C’est un virus (un petit microbe très résistant) qui affaiblit l’organisme humain et rend celui-ci incapable de bien se défendre contre les maladies et les infections. En d’autres termes, le VIH affaiblit et déstabilise progressivement le système immunitaire, jusqu'à le rendre incapable d’organiser ses défenses.  C’est ce virus qui est responsable du SIDA. La personne qui en est infectée est dite séropositive. Avec le temps, elle finit inévitablement par développer le SIDA.  Elle décède après un temps relativement long.

 

SIDA signifie syndrome d’immunodéficience acquise. C’est une maladie infectieuse provoquée par le VIH.  Le SIDA n’est donc pas dû à la sorcellerie ou aux fétiches. Il n’y a que le VIH qui peut conduire à développer le SIDA. C’est un état d’incapacité du système de défense immunitaire donnant libre court à l’attaque de n’importe quelle infection ou maladie.  Ceci explique donc le fait que, très souvent, ce sont des maladies ou infections dites opportunistes (tuberculose, malaria, pneumonie, etc.) qui, en réalité, tuent la personne qui souffre du SIDA.  Les personnes atteintes développent ces maladies opportunistes qu’il faut soigner en utilisant les antibiotiques et autres médicaments bien connus.

 

De l’infection à VIH au SIDA, l’évolution peut être rapide ou lente. Elle diffère d’un individu à un autre.  Les symptômes du SIDA n’apparaissent pas aussitôt après l’infection à VIH. Il faut une période relativement longue, parfois jusqu'à dix ans, pour que les premiers signes du SIDA apparaissent. Souvent la personne ne se rappelle même pas à quel moment elle a été infectée, ni qui l’a contaminée.  Ce qui est évident c’est que toute personne infectée à VIH finit, tôt ou tard, par développer le SIDA.

 

Comment le VIH/sida se manifeste-t-il ?

 

11. Les manifestations du VIH/sida varient d’une personne à une autre, selon que l’infection se situe au niveau des poumons, de l’appareil digestif, du cerveau ou de la peau. En règle générale, les manifestations les plus courantes du SIDA sont les suivantes : les diarrhées chroniques inexpliquées, la toux, l’éruption cutanée, la fièvre, les lésions de la muqueuse buccale, la perte du poids, l’affaiblissement, les démangeaisons. Certains cancers peuvent être la manifestation du SIDA, mais pas toujours nécessairement. Tels sont les cas du sarcome de Kaposi et des lymphomes.

 

Pour s’assurer qu’il s’agit du SIDA, il faut s’en remettre entre les mains des professionnels de la santé et subir un test de dépistage. Seuls les résultats d’un tel test, recommencé et confirmé, peuvent déterminer le SIDA. Il est prudent de ne pas se fier aux apparences. Celles-ci sont souvent trompeuses. Un proverbe dit, en effet, « Il n’est pire eau que l’eau qui dort ». Quelqu’un peut présenter une apparence physique visiblement en forme et porter le VIH. De même, tout amaigrissement n’est pas nécessairement synonyme d’infection à VIH ou du SIDA. Il est également utile de ne pas s’amuser à établir son propre diagnostic, selon des critères obscurs définis par des milieux non spécialisés dans le domaine de la santé.  Il vaut mieux ne pas non plus se soumettre à une automédication. Ce serait fort dangereux pour la santé. Il convient, par contre, de s’en remettre entre les mains des professionnels de la santé.

 

En cas d’apparition d’au moins une des manifestations du VIH/sida ci haut indiquées, je vous exhorte, frères et sœurs, à ne pas aller perdre votre temps chez un devin, un féticheur ou un charlatan de type religieux. Il importe de garder votre calme, de prendre votre courage à deux mains et de laisser les professionnels de santé vous prendre en charge. Il est plutôt sage de prendre le chemin de l’hôpital et de faire un test de dépistage.

 

Principales voies de transmission

 

12. Le VIH se transmet à travers le sang, les liquides sexuels et le lait maternel. En conséquence, on reconnaît trois voies principales de contamination.

 

Les rapports sexuels : lorsque l’un des partenaires au moins est séropositif. Le VIH/sida est donc une maladie sexuellement transmissible (MST) comme tant d’autres : syphilis, gonococcie, chlamydia, herpès génital, chancre mou, virus du papillome, etc. Si certaines de ces infections sexuellement transmissibles peuvent être guéries par des soins appropriés, le SIDA, lui, n’a pas encore de vaccin pour le vaincre. 

 

La transfusion d’un sang contaminé : il peut y avoir contamination lorsqu’on reçoit un sang contaminé par le VIH, ou encore lorsqu’on se pique avec une seringue ou une aiguille portant le sang d’une personne séropositive ; ou encore lorsqu’on se coupe avec un objet tranchant (lame), quand bien entendu cet instrument a été utilisé par un séropositif et n’a pas été stérilisé. Le contact de sang suffit pour créer la possibilité de contagion.

 

La possible transmission d’une mère séropositive à l’enfant : la contamination est possible pendant la grossesse, au moment de l’accouchement ou par l’entremise du lait maternel donné au nourrisson. Un traitement spécial pendant la période de la grossesse offre cependant la possibilité d’éviter cette transmission.   

 

Signalons que les liquides corporels infectés d’une personne peuvent pénétrer dans le circuit sanguin d’une autre personne. Dans ce cas, il y a possibilité de transmission du VIH. C’est ce qui peut arriver dans les cas d’un accident, d’un accouchement ou d’une opération ou encore lorsque la personne qui soigne a une plaie non couverte à la main.

 

En dehors de ces voies, la science ne nous dit pas encore d’autres. Il est donc superflu de croire qu’on peut « jeter » le SIDA sur quelqu’un comme j’entends dire dans certains milieux. Il est erroné de prétendre que le VIH/sida peut se transmettre par le jet d’un mauvais sort, par des manœuvres de sorcellerie.

 

Fausses alertes

 

13. S’il est reconnu que trois principales voies de transmission contribuent à la propagation du VIH, il ne faut pas pour cela avoir peur de vivre.  Il n’y a pas contamination lorsqu’il n’y a pas contact de sang ou avec les liquides sexuels. Contrairement aux rumeurs, il est important de savoir que le VIH ou le SIDA ne se transmet pas dans les cas suivants :

 

En vivant ensemble : vivre sous le même toit avec une personne infectée ou soufrant du SIDA, partager le même lit avec elle, utiliser les mêmes toilettes ou latrines, la même douche, tenir sa main, porter les mêmes vêtements, faire usage des mêmes serviettes de toilette ou des mêmes draps, du même peigne… tout cela ne peut pas transmettre cette maladie. Laver le cadavre d’une personne morte du VIH/sida n’est pas un danger de transmission. A moins d’une petite plaie buccale pouvant laisser échapper du sang, un baiser n’est pas en principe déconseillé. Visiter une personne vivant avec le VIH/sida, à la maison ou à l’hôpital, n’est pas contagieux. Etudier dans une même école ou partager un même lieu de travail avec une personne atteinte du VIH/sida, n’est pas synonyme de s’exposer à cette pandémie. On ne peut pas être contaminé non plus par le simple fait de voyager dans le même véhicule ou dans la même pirogue, se laver dans la même rivière, saluer une personne séropositive. Vivons donc en toute sérénité avec nos frères et sœurs touchés par le VIH/sida, mais en veillant à accroître nos conditions hygiéniques selon les normes sanitaires classiques.

 

En mangeant ou en buvant ensemble : il n’y a pas de risque de contamination en cas de partager le même repas, les mêmes ustensiles de cuisine, les mêmes couverts, tout comme boire avec une personne séropositive ou souffrant du SIDA. 

 

En toussant ou en éternuant : une goutte de salive d’une personne infectée ou atteinte du SIDA ne peut pas transmettre le VIH. De même, ce virus ne se transmet pas par les larmes.

 

Les mouches, les moustiques, les punaises et les animaux domestiques (chiens, chats, oiseaux domestiques, etc.) ne sont pas des agents de transmission.

 

Faire face à la pandémie

 

On peut combattre le VIH/sida et l’éviter

 

14. Comme je l’ai dit plus haut, il n’existe pas encore de médicaments contre le VIH/sida. Les recherches scientifiques sont en cours, mais elles n’ont pas jusqu’à présent trouvé le médicament salvateur. Toutefois, les personnes atteintes du VIH, et se trouvant à un certain stade de la maladie, peuvent être soulagées et vivre pendant un temps relativement long si elles suivent un traitement anti-rétroviral. Encore faut-il trouver les ARV, être capable de s’en procurer et respecter scrupuleusement les indications du médecin. Quant aux maladies opportunistes qui envahissent l’organisme d’une personne atteinte du VIH/sida, elles doivent être combattues, dans la mesure du possible, par des soins classiques.

 

Notons, cependant, qu’il y a lieu d’éviter cette terrible maladie.  L’Eglise et les institutions éprises du sens des valeurs admettent deux moyens pour se protéger contre ce fléau : la fidélité et l’abstinence. La fidélité est proposée aux époux, tandis que l’abstinence est le chemin proposé aux célibataires, aux veufs et veuves.

 

La fidélité dans le mariage est une valeur inestimable. L’Eglise enseigne que « l’amour conjugal exige des époux, de par sa nature même, une fidélité inviolable »[6].  Elle n’a pas inventé la fidélité à l’occasion de l’apparition du VIH/sida. En revanche, elle l’a toujours considérée comme une exigence de l’union des époux[7]. Comme dit l’Ecriture, ceux-ci « ne sont plus deux, mais une seule chair » (Mt 19,6). Dans notre culture bantu, la fidélité n’en est pas moins une valeur. Je ne connais point d’ethnie au Congo où le vagabondage sexuel et l’infidélité seraient considérés comme des valeurs. Il n’en existe pas. Par contre, notre culture  considère le mariage comme une alliance fondée sur la stabilité qu’assure la fidélité des époux. Face au VIH/sida, ces valeurs peuvent davantage être exploitées pour protéger nos populations contre les risques incalculables de cette pandémie.

 

Quant à la continence, elle est un fruit de l’Esprit (Cf. Ga 5, 23). Elle est un apprentissage de la maîtrise de soi,  qui nous libère de l’égoïsme et de l’agressivité, grâce à une intégration réussie de notre sexualité[8]. Elle s’épanouit dans l’amitié et le respect pour le prochain. C’est un effort constant pouvant bénéficier du soutien de l’Esprit.

 

La continence exprime notre capacité à dominer les passions et de vivre dans la paix. Les personnes non mariées, c’est-à-dire les célibataires, les veufs et les veuves, sont invitées à la vivre, en toute liberté. Contrairement à ce qu’on observe souvent autour de nous, « les fiancés sont appelés à vivre la chasteté dans la continence. Ils verront dans cette mise à l’épreuve une découverte du respect mutuel, un apprentissage de la fidélité et de l’espérance de se recevoir l’un et l’autre de Dieu. Ils réserveront  au temps du mariage les manifestations de tendresse spécifique de l’amour conjugal. Ils s’aideront mutuellement à grandir dans la chasteté »[9].

 

La continence exige certes un effort constant, mais elle n’est pas impossible.  La grâce que Dieu offre la rend accessible à toute personne qui s’y dispose. En effet, il est écrit dans le livre du prophète Isaïe : « Car moi, le Seigneur, je suis ton Dieu qui tiens ta main droite, qui te dis : « Ne crains pas, c’est moi qui t’aide » (Is. 41, 13).      

 

La continence n’est pas non plus une vertu étrangère à notre culture locale. Qu’on se rappelle que dans notre univers anthropologique, la virginité est exaltée, respectée. C’est un signe d’une bonne éducation. L’homme qui épouse une fille vierge est un homme fier et heureux. L’avenir de son foyer est, d’une certaine manière, assuré. La famille qui donne en mariage une fille vierge est honorée. Dans certaines tribus, une telle famille est récompensée par un cadeau précieux remis symboliquement à la mère qui s’est occupée de l’éducation de cette « perle précieuse ».  En outre, en Afrique traditionnelle, pendant la retraite initiatique, les jeunes, les filles comme les garçons, étaient entraînés à vivre les vertus et les valeurs de la vie. Je ne pense pas que l’Afrique traditionnelle apprenait aux jeunes comment avoir un désordre sexuel. Bien au contraire, cette initiation avait un idéal vertueux[10]. Il s’agissait de les initier, entre autres, à assumer leur sexualité dans la responsabilité d’époux ou d’épouses. Cette notion d’assumer la sexualité dans la responsabilité me paraît capitale pour faire face à la pandémie du VIH/sida.

 

Bref, ce que l’Eglise nous propose dans le cadre de la lutte contre le VIH/sida fait aussi partie du patrimoine de notre héritage culturel africain. C’est une raison de plus pour nous y attacher. En tout état de cause, la fidélité et l’abstinence sont les moyens les plus efficaces et les plus infaillibles. En plus d’assurer l’harmonie conjugale pour les uns ou de bien se préparer au grand amour pour les autres, quiconque les utilise ne sera jamais atteint du VIH/sida. Je reviendrai plus loin sur les alternatives qu’offrent d’autres institutions et organismes ne partageant pas nécessairement nos convictions morales.

 

Dans notre contexte, j’ajouterai un troisième moyen : la lutte contre l’ignorance. Cette bataille se gagne grâce à un effort personnel ou collectif de s’informer sur cette pandémie et de se laisser former.  La lutte contre l’ignorance conduit aussi à éviter certaines attitudes et pratiques dangereuses qu’on observe dans notre société. Il est utile de participer aux campagnes de sensibilisation qu’organise notre Eglise pour en savoir plus sur cette pandémie. L’Eglise reste convaincue qu’il vaut mieux prévenir que guérir, comme on dit. C’est pourquoi, elle prend une part active, voire organise des campagnes de prévention  en vue de responsabiliser chacun de nous et de nous faire participer à la lutte contre ce tragique fléau en utilisant les moyens les plus efficaces. Chez-nous, la lutte contre l’ignorance est incontournable dans la bataille contre le fléau du SIDA.

 

Accompagner et compatir

 

15. Assurément, le VIH/sida est une maladie redoutable. Il suscite beaucoup de réactions émotionnelles et sème souvent la panique. Le ministère d’accompagnement est ici indispensable.  Il doit se conjuguer aux sentiments d’amour et de compassion. 

 

Ce fléau suscite d’abord la peur.  Tout le monde en a peur. Peur d’avoir été contaminé, à son insu, par transfusion d’un sang non testé, ou par un comportement sexuel peu orthodoxe.  Il y a aussi la peur de tomber un jour dans le piège. Face à cette peur, il faut garder son calme. En cas de doute, il convient de se décider d’aller subir un test de dépistage dans un hôpital. Le plus important, c’est d’en parler aux personnes de confiance. C’est une forme de thérapie qui s’avère indispensable. La peur étrangle davantage ceux et celles qui découvrent pour la première fois leur état de contaminé. Ils ont peur d’être jugés par la société, de mourir vite, de laisser un veuf ou une veuve, des orphelins, etc.

 

Il y en a aussi qui éprouvent un choc, une angoisse profonde, voire la colère et la culpabilité, sinon la hantise de rechercher un bouc émissaire (« qui m’a contaminé ? », « quand ? » etc.), que précède parfois un déni (« ce n’est pas vrai… », « mais non, pas moi, voyons... », etc.). Assez souvent, cela concerne les personnes qui découvrent leur séropositivité ou qui apprennent qu’elles développent déjà le SIDA. Il me semble que ces réactions sont normales. Mais l’infection à VIH et le SIDA ne se gèrent pas en solitaire. Il faut surmonter ces attitudes et prendre le taureau par les cornes. Il est important d’en parler aux personnes de confiance de votre entourage (époux, épouse, parents, parrain, marraine, oncle, curé, etc.) et de tenter de surmonter le drame.  En d’autres termes, il faut se convaincre qu’on a encore de longs jours à vivre si on se soumet au traitement anti-rétroviral et si on observe un certain nombre de règles de santé, notamment manger une nourriture riche en protéines, prendre suffisamment de repos, s’abstenir de l’alcool et du tabac, avoir un bon morale, avoir la paix du cœur, etc. Il faut s’entourer de tendresse et de l’appui de ses proches.

 

16. Généralement, les personnes atteintes par cette pandémie éprouvent la honte. De fait, les maladies sexuellement transmissibles, en l’occurrence le VIH/sida, sont considérées, dans notre société, comme des « maladies honteuses ».  Je voudrais apporter un correctif. Il n’existe pas de maladies honteuses. La maladie est l’expression de la fragilité de l’être humain.  Tant mieux si on peut l’éviter ou la guérir, si possible.  Mais la maladie comme telle nous rappelle que nous sommes des êtres limités et que notre vie, quoiqu’il en soit, a une dimension qui nous échappe. Quant au VIH/sida, il frappe parfois des innocents comme dans les cas d’une transfusion sanguine ou de la transmission de mère à l’enfant. Même dans le cas de la contamination par la voie sexuelle, il y en a qui ont été victimes d’un viol, d’autres ont subi la pression des lois coutumières ou le poids des circonstances particulières, etc. Les situations sont variées. Il est important de s’abstenir de procéder à des procès d’intentions qui, somme toute, risqueraient de nous constituer en juges (Cf. Mt 7,1). Un fait est cependant vrai : nous sommes tous des pécheurs. Et si Dieu doit nous juger selon nos péchés, personne ne tiendra face à lui. Souvenons-nous de l’attitude de Jésus devant la femme adultère (Cf. Jn 8, 1-11). Le SIDA n’est donc pas une maladie honteuse.   Je reviendrai plus loin sur le message qu’il nous annonce.  

 

17. Je voudrais souligner que les attitudes de l’entourage (époux ou épouse, prêtre, personnel soignant, parents, famille, amis, gens du village ou du quartier, etc.) sont très déterminantes dans la vie des personnes atteintes du VIH ou souffrant du SIDA. La confidentialité est exigée dans tous les cas. Elle est l’expression du respect qu’on doit aux malades et à tous ceux qui se confient à nous. C’est la meilleure récompense de la confiance. Il faut absolument bannir les attitudes de rejet, de stigmatisation, de discrimination et de marginalisation à l’égard de nos frères et sœurs touchés par le VIH/sida. Ce sont des malades comme les autres. Il n’y a aucune raison pour les rejeter. Nous sommes tous membres d’un seul corps, l’Eglise (Cf. 1Co 12,12). Leur souffrance, c’est aussi la nôtre (Cf. 1Co 12,26). D’un côté, il est de notre devoir, en tant que chrétiens, de ne ni les juger, ni les condamner. Par contre, notre foi nous invite à les aimer, à en prendre soin, à les entourer de notre tendresse et à les accompagner jusqu’à ce que le Seigneur décide de les rappeler à lui.  Nous avons, nous chrétiens, un devoir d’amour et de solidarité vis-à-vis de toute personne qui souffre (Cf. Mt 25, 36). S’adressant aux corinthiens, Saint Paul n’a-t-il pas dit, dans sa première épître qu’ « un membre souffre-t-il? Tous les membres souffrent avec lui… » (1Co 12,26). D’un autre côté,  il n’y a aucune raison d’avoir une attitude négative parce que nous ne sommes pas juges les uns des autres. Le Christ nous met en garde : « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés » (Mt 7, 1). La maladie n’est pas un châtiment dû au péché. Le Christ l’a dit explicitement dans les trois premiers versets du chapitre neuvième de l’évangile selon Saint Jean. Il y a, en effet, un sens chrétien à donner à la souffrance et à toute épreuve de la vie[11]. Comme le Pape Jean-Paul II l’a si bien démontré dans une lettre apostolique, la maladie revêt une dimension salvifique[12].  

 

En outre, que cette maladie soit issue d’une transfusion sanguine, d’un allaitement maternel, d’une erreur médicale ou d’un écart de comportement, il ne nous appartient pas de juger nos frères et sœurs qui en souffrent. En revanche, nous devons prendre soin d’eux avec charité et compassion.

 

De fois, les personnes infectées souffrent de solitude, d’angoisse ou de dépression. Il faut les aider à lutter contre ces sentiments. La famille, les amis et les accompagnateurs spirituels doivent les visiter, les entourer de tendresse et d’affection, mais aussi leur rendre tous les services dont elles ont besoin.  Il faut les accompagner avec amour et compassion, pour leur permettre de surmonter ces états d’âme. L’objectif sera de susciter en elles l’estime de soi et l’espoir qu’elles peuvent vivre encore longtemps.  En d’autres termes, il faut amener ces frères et sœurs à rester positifs et constructifs. Les prêtres ont ici un rôle très capital.  Qu’ils mettent en pratique les notions de « relation d’aide » ou de dialogue pastoral apprises au cours de leur formation sacerdotale. Ils doivent non seulement visiter ces fidèles du Christ, se faire leurs amis, mais aussi les écouter et les accompagner spirituellement. Il faut surtout les aider à se réconcilier avec eux-mêmes, avec leurs familles et amis ainsi qu’avec Dieu. Le temps de la maladie peut être un bon moment de grâce qu’il importe de mettre à profit pour que les malades s’abandonnent entre les mains de Dieu. On se montrera disponible pour leur donner les sacrements qu’ils demandent.

 

Toutefois, dans la mesure où ils ont encore la force de rendre quelques services, il faut les intégrer dans les activités pastorales et sociales. En d’autres termes, il est important de les réinsérer dans la société et dans l’Eglise à travers des activités qu’ils sont encore capables de réaliser.

 

Le temps d’accompagnement est aussi propice pour sensibiliser les personnes infectées à éviter de contaminer d’autres membres de la société. Cela passe par le pardon et l’acceptation de la maladie. Ces étapes peuvent être franchies en toute lucidité, si les frères et sœurs souffrant du VIH/sida sont bien accompagnés et bien encadrés. L’essentiel, me semble-t-il, est de gagner leur confiance et d’en parler ouvertement, sans tabou.

 

 

 

    II. « CHOISIS DONC LA VIE… » (Dt 30,19)

 

18. Pour faire face au fléau du VIH/sida, il y a lieu d’emprunter le chemin de la vie, que Dieu propose. Du point de vue de la foi chrétienne, choisir la plénitude de la vie et la servir me paraissent l’option la plus appropriée face à ce phénomène troublant de notre société d’aujourd’hui. Cela passe, naturellement, par une double conversion. D’une part, la purification de notre propre regard sur cette pandémie et, d’autre part, la foi aux valeurs chrétiennes et culturelles authentiques.  Avant d’approfondir ces notions, il faut dissiper un équivoque.

 

Le VIH/sida : châtiment divin ou signe des temps ?

 

Le VIH/sida est là. C’est une réalité indéniable. Mais on entend dire de plus en plus dans certains milieux que ce serait un châtiment divin à cause, semble-t-il, de l’abondance des péchés dans notre monde d’aujourd’hui.  Cette opinion est fort répandue dans notre milieu. Il faut y apporter une réponse de la foi.

 

Le VIH/sida n’est pas un châtiment divin

 

19. D’entrée de jeu, constatons que devant des situations à caractère énigmatique, l’homme, en général et l’Africain en particulier, tend à recourir à l’horizon religieux pour se donner quelques explications. Ce me semble une attitude normale qui atteste que l’être humain peut difficilement se passer de certaines croyances, même s’il lui arrive parfois d’affirmer qu’il ne croit en rien. Dans cette perspective, certains milieux pensent que le VIH/sida est une punition divine. Au-delà de l’interprétation « religieuse » du fléau, Dieu est mis en cause. Telle me paraît être la gravité de cette opinion.

 

A la lecture de certains textes de l’Ancien Testament, on serait effectivement tenté de croire que Dieu peut, de nos jours, utiliser une maladie, en l’occurrence le VIH/sida, pour punir le genre humain. D’une part, il faut savoir que l’Ancien Testament reflète sur certains points la mentalité populaire de son temps ou tout au moins en est influencé. De la sorte, les faits racontant la prétendue « cruauté » de Dieu ne sont pas à comprendre littéralement, dans une perspective fondamentaliste. Ils portent, d’une manière ou d’une autre, la marque des croyances courantes au Moyen-Orient de l’époque.

 

D’autre part, croire que le VIH/sida est une punition divine relève d’une mauvaise interprétation de la théorie de la rétribution, selon laquelle : « le mal poursuit les pécheurs et le bien récompense les justes » (Pr 13,21). Cette théorie tire son origine dans la sagesse du Proche Orient d’antan.  Elle ne tient pas debout devant la souffrance d’un innocent comme Job par exemple ou face aux succès des impies, des scélérats et à l’impunité des criminels (Cf. Jb 21). En son temps, le Psalmiste ne s’en était-il pas étonné : «  … je voyais la chance des impies. Ils ne se privent de rien jusqu’à leur mort, ils ont la panse bien grasse. Ils ne partagent pas la peine des gens, ils ne sont pas frappés avec les autres… » (Ps 73, 3s). Et pourtant, le même psalmiste avoua  plus tard: « …moi stupide, ne comprenant rien, j’étais comme une bête, mais j’étais avec toi » (Ps 73, 22).  

 

De toute manière, Jésus, qui est venu accomplir les Ecritures, a rectifié cette théorie de la rétribution en proclamant un Dieu Amour (Cf. 1Jn 4,8,16), Miséricorde (Cf. Lc 6, 36), Compassion, Pardon, Pitié, etc. Il s’est refusé d’établir un lien entre péché et punition. En d’autres termes, il n’a pas enseigné de voir dans la maladie ou dans un malheur une quelconque expression de la punition divine. Au sujet des Galiléens dont « Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes » (Lc13,1), il a affirmé clairement que leur triste sort n’était pas du tout lié à la lourdeur de leurs péchés (Cf. Lc 13, 2-3). Il en est de même des 18 personnes ayant péri sous la tour de Siloé (Cf. Lc 13,4). Elles n’ont pas été écrasées à cause du nombre de leurs péchés (Cf. Lc 13,5).  La guérison de l’aveugle de naissance (Cf. Jn 9, 1-3) est davantage explicite.  Ce passage contient, sans doute, la clé d’interprétation de plusieurs phénomènes insolites que l’intelligence humaine attribue avec simplisme à la colère de Dieu.  De toute manière, comme a dit le Psalmiste, « Il (Dieu) ne nous traite pas selon nos péchés, il ne nous rend pas selon nos fautes » (Ps 103,19).  Ne fait-il pas lever son soleil sur les bons et les méchants,  et tomber la pluie sur les justes et les injustes (Cf. Mt 5, 45)?

 

Par ailleurs, attribuer les malheurs des humains à Dieu pose un problème de la conception de Dieu qu’on se fait. N’est-ce pas synonyme de considérer Dieu comme une autorité humaine ? Il en découle dès lors qu’à tort, on blâme Dieu, on le soumet à un interrogatoire, on le questionne, on le met en cause. Mais, au fond, avec Saint Paul une question mérite d’être posée : « Qui es-tu donc, homme, pour entrer en contestation avec Dieu ? » (Rm 9, 20).  « Dieu n’est pas un homme » (Nb 23, 19). Dieu est Dieu (Cf. Jo 2,11). Il est au-delà de nos simplismes, de nos constructions mentales, de nos représentations imaginaires.  C’est Jésus qui nous manifeste son vrai visage. « Qui m’a vu, a-t-il déclaré, a vu le Père » (Jn 14,9). Il est dans le Père et le Père est en lui (Cf.Jn 14, 10). Lui, qui est la révélation et le révélateur du Père, manifeste un Dieu d’Amour, de tendresse et de bonté. Ce n’est donc pas un Dieu punisseur, vengeur.  Il n’est donc pas auteur de nos maladies et de nos épreuves de la vie.

 

On peut dire la même chose des ancêtres ou de ceux qu’on appelle sorciers. Dans la logique de l’anthropologie bantu, les premiers veillent sur les vivants. Mais quand ceux-ci transgressent les lois et bafouent les valeurs qui sont sensées accroître la vie au sein de la communauté, c’est à eux que revient la responsabilité des catastrophes sociales.  Quant aux seconds, notre héritage culturel ne nous enseigne pas qu’ils sont capables de fabriquer des virus. Selon une vision du monde commune aux peuples bantu, ils n’interviennent que là où les humains ont créé le désordre relationnel, la haine, la jalousie, etc. Et d’ailleurs, la vraie sorcellerie, c’est la jalousie, la haine, la désharmonie relationnelle, le dysfonctionnement social, la crise des rapports humains, l’absence d’amour, etc. Dans ce cas aussi, c’est l’homme de ce monde qui en est responsable.

 

En somme, s’il y a une punition à voir dans l’apparition du VIH/sida, il faut la voir du côté de l’homme. C’est lui qui abuse de la bonté divine et de la liberté que Dieu lui a accordée gratuitement.  C’est encore lui qui désobéit à Dieu et enfreint aux lois de nos ancêtres. La responsabilité de la propagation rapide et meurtrière de la calamité du VIH/sida repose sur l’homme, sur la nature de ses relations avec ses semblables et sur la gestion de sa liberté.  Il prend des écarts dangereux qui finalement se retournent contre lui. Cessons donc d’accuser Dieu, les ancêtres ou les sorciers et prenons nos responsabilités. Loin d’être un châtiment divin, le VIH/sida est plutôt un phénomène qui veut nous transmettre un message qu’il faut scruter. C’est un signe des temps[13].      

 

C’est certainement un signe des temps

 

20. J’ai indiqué plus haut qu’en tant que maladie, le VIH/sida est l’expression de notre fragilité et de notre finitude humaines. Tel me semble le premier volet du message que le VIH/sida nous annonce. En effet, l’homme moderne a déjà réalisé beaucoup de prouesses dans les domaines de la technologie et de la science. Le téléphone, l’informatique, l’aéronautique, la médecine, pour ne citer que ces quelques cas, font partie d’une révolution qui facilite davantage la vie humaine et rapproche les peuples de la planète. Une question se pose, cependant, au moment où ces progrès réalisent de remarquables avancées, le VIH/sida fait irruption dans le monde et défie toute l’humanité. Celle-ci ne lui trouve pas encore de solution. N’est-ce pas plutôt étrange? N’est-ce pas ici l’occasion, pour l’homme, de prendre conscience de sa petitesse, de son caractère limité, pour davantage s’ouvrir à l’Eternel ? Cette pandémie est certainement, en un sens, porteuse d’un message qu’il faut décrypter.

 

Le VIH/sida nous questionne aussi sur ce que sont devenues nos mœurs dans le domaine de la vie sexuelle. L’évolution de notre société tend vers un certain relativisme de la morale et de certaines coutumes positives de nos traditions africaines. En effet, le relâchement des mœurs, les violences sexuelles, les viols, les mariages précoces, les divorces, la prostitution, les unions libres, les avortements clandestins, etc., sont plus que jamais en hausse dans notre société. On déplore de plus en plus la banalisation des valeurs d’amour, de sexe, de fidélité et de virginité. Manifestement, il y a une crise du respect de la dignité humaine, du corps de l’autre, de son intégrité, de son humanité, bref de tout ce qui, dans l’autre, est « sacré ». De ce point de vue, le VIH/sida nous révèle aussi un désordre moral, qu’il faut arrêter.  Le Pape Jean-Paul II a eu raison de dire qu’il s’agissait aussi d’une « pathologie de l’esprit »[14]. Il résulte, la plupart du temps, des pratiques sexuelles irresponsables[15].  Son apparition et sa propagation rapide sont révélatrices d’une crise morale profonde. Il ne faut pas aller loin pour s’en convaincre. Ici chez nous, en villes, dans les campagnes, dans les camps de pêche, etc., la dépravation des mœurs est devenue monnaie courante.  Il nous faut donc gérer notre vie avec responsabilité.

 

Il me semble que le VIH/sida annonce un autre message : le degré de pauvreté au sein de nos populations. La pauvreté, en effet, a atteint le seuil du tolérable. Elle est, dans notre pays disposant d’immenses richesses naturelles, une honte et un scandale. A la vérité, elle n’est plus pauvreté, mais est devenue misère. Plus précisément une misère noire qu’aggravent la mauvaise gestion de la chose publique, spécialement de nos richesses naturelles, la corruption, la débâcle économique et les guerres successives.

 

L’enjeu est que cette misère diminue nos capacités morales. Elle nous expose à des comportements à risque qui, en partie, expliquent éloquemment la propagation rapide de la pandémie du VIH/sida dans notre continent[16]. Très souvent, elle diminue notre humanité et nous expose dangereusement à la propagation de ce fléau. Pis encore, cette misère nous rend incapables de faire face à cette pandémie, d’intensifier les campagnes de prévention, de prendre en charge nos malades, de bien les soigner, etc. C’est véritablement un drame. Combien de nos hôpitaux disposent d’un système de dépistage du VIH/sida? Combien possèdent des ARV ? Combien de panneaux publicitaires de la lutte contre le VIH/sida avons-nous dans nos cités, nos villages ? Elle est longue, la liste de ce qui nous manque dans le cadre de la santé ordinaire et dans la lutte contre le VIH/sida. Dans ce contexte, le message du VIH/sida à l’humanité, aux décideurs de ce monde, à nos dirigeants et à tous les responsables de notre société est clair : il faut cesser de créer ou d’entretenir la pauvreté, mieux la misère, spécialement en Afrique.  C’est dire que tant que l’on n’intensifiera pas la lutte contre la pauvreté, et surtout contre tout ce qui l’engendre et l’entretient, il sera utopique de vaincre le VIH/sida en Afrique.

 

Signalons, toutefois,  que la misère ne doit pas être un alibi pour que nous nous livrions aux pratiques à haut risque nous exposant au VIH/sida. L’Ecriture dit, bien entendu, « Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6, 20). Mais il ne suffit pas d’être pauvre pour mériter le Royaume. Encore faut-il se mettre dans des dispositions de cœur pour entrer dans ce Royaume. L’évangile selon Saint Mathieu le dit mieux en parlant de ceux « qui ont une âme de pauvre » (Mt 5, 3). Le Pape Benoît XVI l’a dit sans ambiguïté: « La pauvreté purement matérielle ne sauve pas, même s’il est certain que les défavorisés de ce monde peuvent tout particulièrement compter sur la bonté divine. Mais le cœur de ceux qui ne possèdent rien peut être endurci, vicié, mauvais, intérieurement possédé par l’envie de posséder, oublieux de Dieu et avide de s’approprier le bien d’autrui »[17]. 

 

21. Africains, nous devons être des « pauvres-tournés-vers-Dieu ». Ainsi positionnés, contre vents et marrées, nous devons nous ressaisir et développer une capacité de résistance au VIH/sida, en recourant à ce que nous avons de plus noble, de plus beau et de plus authentique dans notre foi chrétienne et dans nos traditions culturelles, c’est-à-dire nos valeurs. Il faut donc choisir la vie.

 

Choisis donc la vie…

 

22. La lutte contre le VIH/sida est une question de vie ou de mort. Elle suppose un choix décisif. C’est aussi une question de grave responsabilité. En conséquence, toute prise de parole sur cette question est un défi de taille. Elle influence le comportement des humains et a des effets sur la vie des milliers d’individus.  Pour ma part, je mesure tout le poids de la responsabilité qui est la mienne en disant à chacun et chacune de vous : « choisis donc la vie ». Outre que celui en qui nous croyons est Vie, nous sommes, nous-mêmes, « un peuple de la vie et pour la vie »[18].

 

Il existe, dans le cadre de la lutte contre le VIH/sida, plusieurs organisations, étatiques ou humanitaires. Nombreuses parmi elles conseillent la fidélité, l’abstinence et l’usage des préservatifs comme moyens de lutte contre cette pandémie. Dans leurs campagnes de sensibilisation, elles insistent plus sur les préservatifs et les distribuent à cette fin. Certaines s’évertuent essentiellement à distribuer seulement les préservatifs, sans une sensibilisation sérieuse sur les autres dimensions de la lutte contre le tragique fléau du VIH/sida. Les hôpitaux, les dispensaires, les centres de santé, les marchés et autres lieux publics, tout comme certaines de nos écoles, ont déjà servi de points de distribution. En certains lieux, des mineurs mêlés aux adolescents et aux adultes en ont reçu.  Pareilles campagnes de sensibilisation sont tendancieuses, au point que beaucoup de gens, dans notre société, pensent de plus en plus que les préservatifs sont la solution à la problématique du VIH/sida.  Grande illusion qui nous coûte déjà cher !

 

Certains médias, publics ou privés, propagent la même exaltation des préservatifs, sans donner une seule explication sur les conséquences morales de leur usage, ni les risques encourus par leurs usagers, moins encore les effets nocifs de dépendance psychologique ou le danger de mauvaise manipulation qu’ils peuvent provoquer dans la vie humaine. On se contente de faire croire qu’ils protègent contre la contamination du VIH/sida, sans informer que cette protection n’est pas totale et que de toute façon leur usage est un énorme risque qu’on prend en flirtant avec la mort…

 

On peut imaginer les intentions voilées et les conséquences de ce genre de campagnes. En luttant contre le VIH/sida de cette manière, il me semble qu’on sape en même temps les bases de  notre société. On bouscule nos valeurs et on crée de faux espoirs. En tout état de cause, ces campagnes diffèrent de la pastorale de la lutte contre le VIH/sida menée par nos comités paroissiaux catholiques. Ceux-ci s’efforcent de former la conscience du peuple pour l’habiliter à lutter contre cette pandémie dans la vérité et le respect de la dignité de la personne humaine. Pour nous, cette lutte est en grande partie un combat contre l’ignorance et une bataille pour la promotion des valeurs morales. Nos comités proposent la fidélité et l’abstinence comme moyens de protection. Ils combattent l’ignorance à travers une sensibilisation touchant à toutes les dimensions du VIH/sida.    

 

Dans ce contexte, beaucoup de fidèles de bonne foi sont dans un dilemme. Il me semble qu’il y a un choix à faire. Le choix de la vie. Mais qu’est-ce à dire? A mon avis, cela signifie trois choses. Il s’agit tout d’abord d’une invitation à entrer dans la bataille de la vie, ensuite à se battre dans la vérité et dans le respect de la dignité humaine. Il s’agit, enfin, de rester ouvert à la grâce et à l’espérance en un Dieu de la vie. 

 

Entrer dans la bataille de la vie

 

23. Dans son exhortation post-synodale Ecclesia in Africa, le Pape Jean Paul II s’est exprimé en ces termes: « La lutte contre le SIDA doit être le combat de tout le monde »[19].  Cette exhortation nous interpelle profondément. Lutter contre le VIH/sida n’est pas une affaire des seuls membres de nos comités catholiques de lutte, des seuls professionnels de la santé ou des ONG. C’est une affaire qui nous concerne tous, jeunes et adultes, gens du village et gens de la ville, hommes et femmes, filles et garçons. Il importe que nous en fassions une bataille communautaire, c’est-à-dire une bataille qui implique tout le monde et qui se livre au niveau de la base.

 

La lutte doit être une préoccupation permanente dans nos lieux de vie. Elle doit être menée dans nos foyers d’existence, partout où nous nous retrouvons pour vivre : nos familles, nos paroisses, nos écoles, nos communautés de base, nos mouvements ecclésiaux, nos camps de pêche, nos associations ethniques, socioculturelles ou professionnelles, nos lieux de rencontres sportives, nos lieux de travail, nos carrières d’exploitation minière artisanale, nos ONG, etc.

 

Je voudrais insister particulièrement sur le rôle que doit jouer la famille dans cette bataille. La famille, en effet, est l’ « Eglise domestique », le premier lieu d’apprentissage de la vie. Dans notre contexte, quoiqu’on dise, elle occupe encore et toujours une place importante dans la vie des individus. Pour cela, la bataille de la vie contre le VIH/sida doit commencer en son sein. Les parents sont invités à prendre leurs responsabilités pour briser le tabou en parlant de cette pandémie et en donnant une éducation sexuelle adéquate à leurs enfants[20]. D’un côté, ils doivent vaincre une gêne  en abordant cette question avec leurs enfants. De l’autre, plus que d’autres éducateurs, ils doivent conduire leurs enfants à acquérir la maîtrise de soi et à intégrer leur sexualité dans une perspective de la sainteté. Cela passe par une éducation sexuelle responsable. Il s’agit de celle qui est capable de fournir les informations les plus fiables sur la sexualité humaine et où le dialogue avec les jeunes occupe une place de choix[21].    

 

24. Pour nous, Africains, la lutte contre le VIH/sida est un combat de la vie pour trois raisons. Premièrement, redisons-le encore : selon toutes les statistiques, le continent africain est le plus touché par cette pandémie. Soixante et dix pour cent des personnes infectées par le VIH ou souffrant du SIDA sont en Afrique. Conjugués aux autres maux qui rongent notre continent, les ravages du VIH/sida laissent croire que si nous ne faisons rien, une bonne partie de notre population disparaîtra dans les années à venir.  Dès lors, entrer dans la bataille pour nous c’est lutter contre une sérieuse menace qui pèse sur nous, en tant que personne humaine et en tant que communauté. Comme personne humaine, chacun de nous a une valeur inestimable, une dignité inviolable. Il n’est donc pas question que nous acceptions de disparaître comme ça ! De même, en tant que communauté, nous devons refuser la mort de l’Afrique et opter résolument pour la vie. Dieu aime notre continent. Il a voulu que son Fils y trouve refuge dès les premiers instants de sa vie (Cf. Mt 2, 13). D’Afrique (Egypte), il a appelé ce Fils pour réaliser le plan du salut au profit de toute l’humanité. Comment ne pas refuser la mort de l’Afrique que tente de lui imposer le VIH/sida? Dès lors, plus qu’une bataille à nous imposée de l’extérieur, la lutte contre la pandémie du SIDA est, à la vérité, un combat de survie.  Ou bien on se bat pour (sur)vivre, ou bien on se résigne en acceptant la mort…Le choix me paraît clair.

 

Deuxièmement, nous sommes les moins outillés du monde pour faire face à cette pandémie. Nos ressources humaines et matérielles ne font pas le poids devant les innombrables besoins que suscite le VIH/sida. Nous manquons de moyens pour organiser une sensibilisation à grande échelle, assurer les soins convenables aux personnes infectées, améliorer notre système de santé, équiper nos établissements de santé en matériels appropriés pour lutter contre le VIH/sida, bien former autant le personnel soignant, les sensibilisateurs que les accompagnateurs des malades, etc. Nous nous sentons obligés de nous battre avec les moyens les plus précieux dont nous disposons : Amour, foi, espérance[22], auxquels il faut ajouter nos valeurs culturelles.

 

Troisièmement, enfin, en tant que « peuple de la vie et pour la vie », nous devons en faire un combat de la vie parce que nous croyons à la vie. D’une part, notre Seigneur Jésus Christ est un Dieu de la vie. Il nous a légué un Evangile de la vie[23]. Il est venu en ce monde pour nous donner la vie ; mais pas à la manière du monde… Il s’agit d’une vie en plénitude qui ne s’arrête pas dans ce monde, mais se prolonge dans l’au-delà et dont la valeur est éternelle (Cf. Jn 10,10). Cette vie dépasse ce que referment les idéologies de ce monde et les philosophies humaines d’égoïsme ou de jouissance matérialiste. D’autre part, la philosophie de l’existence qui nous anime est une philosophie de la force, plus précisément de la force vitale. Le Père franciscain belge Placide Tempels l’a démontré avec brio dans un ouvrage resté célèbre : La philosophie bantoue[24].  Nous aspirons fondamentalement et inévitablement à être Force et donc Vie. Or il n’y a pas de force sans vie. D’où nous devons adhérer à la vie pour être des « êtres-force ». Dès lors, lutter contre tout ce qui diminue la force vitale ou tout simplement la vie, c’est appliquer notre propre philosophie de l’existence.  Ainsi, la bataille contre le VIH/sida ne peut être chez-nous qu’un combat pour la vie. Mais qu’est-ce à dire concrètement ?

 

25. Dans le contexte de la lutte contre la pandémie du VIH/sida, cela signifie tout d’abord briser le tabou. Parler ouvertement de ce fléau et prendre conscience de la menace qu’il fait peser sur chaque individu et sur notre société. Cette prise de conscience doit ensuite aboutir à un engagement à s’informer davantage sur cette tragédie et à se laisser former pour acquérir un réflexe de bataille et de résistance.  En d’autres termes, il s’agit de s’outiller et de résister à cette pandémie, sans en même temps se laisser détruire à petit feu par le recours aux armes de lutte qui ne respectent ni la dignité humaine, ni les valeurs qui fondent notre identité authentique.  Choisir la vie dans cette bataille signifie, aussi, convertir son regard sur le fléau et adopter des attitudes porteuses de vie vis-à-vis de ceux et celles qui sont touchés par lui.  Il s’agit, en effet, d’une part, de considérer le VIH/sida comme une maladie comme les autres. Non pas une maladie honteuse, une « peste » des prostitués et des pécheurs publics, une punition divine, mais une maladie dont les victimes sont à considérer comme ce « prochain » dont parle l’Evangile (Cf. Mt 19,19 ; Lc 10,27 ; Mc 12,33, etc.).

 

D’autre part, il est question de prendre soin de ces « prochains », de leur manifester notre amour, notre tendresse, notre compassion, notre assistance etc., de les visiter et de les accompagner en leur ouvrant les portes de l’espérance(Cf. Lc 10, 33-35). Il est utile de poser des gestes qui expriment tout cela, en combattant vigoureusement la stigmatisation et autres formes d’exclusion. Il importe de noter ici que le temps de la maladie doit être considéré comme une occasion de vivre une nouvelle vie avec le Seigneur. Une vie qui doit tenir compte du caractère fragile de notre existence, du caractère passager de ce monde, et devant fixer notre regard sur le Christ qui, comme on le sait, est passé par l’épreuve de la croix.

 

Enfin, entrer dans la bataille de la vie c’est adopter un comportement responsable notamment dans la vie sexuelle et vis-à-vis de certaines pratiques culturelles à risque. Un comportement responsable s’impose. Il signifie, pour nous, maîtrise de soi, respect de son corps (« temple du Saint Esprit » (1Co 6, 19)) et de la dignité inaliénable des autres, respect des valeurs d’amour, de la sexualité humaine, de fidélité et d’abstinence.  En outre, un comportement responsable doit conduire à acquérir un réflexe de la résistance.  Celui-ci consiste à intégrer dans nos manières de vivre, nos habitudes quotidiennes,  l’automatisme de rejeter tout ce qui, consciemment ou non, est susceptible de transmettre le VIH/sida ou de discriminer les personnes qui en souffrent. Acquérir ce réflexe c’est exiger le test de sang avant toute transfusion sanguine, ne jamais accepter de se faire piquer par une seringue non stérilisée ayant servi à une autre personne, éviter tout ce qui offense la fidélité et l’abstinence, couvrir toute plaie saignante, éviter la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes touchées par le VIH/sida, vivre avec sérénité avec les personnes infectées par le VIH/sida, rompre le tabou sur cette pandémie du VIH/sida, s’habituer à recourir aux professionnels de la santé pour diagnostiquer toute maladie, développer le sens de l’information et de la formation à la lutte contre ce fléau, etc. Il s’agit aussi d’éviter les pratiques culturelles à risque encore courantes chez-nous, notamment la scarification avec des lames non stérilisées, le lévirat et le sororat.  Sans vouloir discuter ici de ce qu’elles représentent au plan de la foi chrétienne, ces pratiques notoirement reconnues comme moralement incorrectes sont devenues en plus dangereuses à l’heure de la pandémie du VIH/sida.

 

Se battre dans la vérité et dans le respect de la dignité humaine

 

26. De la même façon que toute guerre a ses conventions, ses règles, de même dans l’Eglise la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine et contre le syndrome de l’immunodéficience acquise a sa déontologie. Celle-ci se veut en conformité avec la mission de cette Eglise, avec son identité de « sacrement de salut » et avec les principes enseignés par le Christ lui-même, véhiculés à  travers la morale chrétienne et soutenus harmonieusement par nos valeurs culturelles.  La vérité et le respect de l’éminente dignité de la personne humaine sont deux caractéristiques indispensables d’une saine lutte contre la calamité du VIH/sida.

 

Dans cette logique, la lutte contre cette pandémie doit être un combat au service de la personne humaine.  Celle-ci, en effet, a une valeur unique. Elle est « la première route et la route fondamentale de l’Eglise »[25]. Plus précisément, il doit s’agir non seulement d’un combat au service de sa dignité d’homme, de son caractère transcendant, mais aussi d’une entreprise au service de la vérité qui, comme dit l’Evangile, rend libre (Cf. Jn 8,32). Cela signifie, en clair, que tout moyen de lutte attentant à la dignité inviolable et inaliénable de la personne humaine, quelles que soient ses performances  techniques, est prohibé par l’Eglise. De plus, tous les moyens offensant la moralité, banalisant les valeurs sacrées de la vie, de l’amour et de la sexualité humaines ne sont pas autorisés par l’Eglise de Dieu.

 

Le choix de la vie dont il est ici question est radical. Nous réaffirmons que dans cette perspective, la fidélité entre époux et l’abstinence pour les célibataires, les veufs et les veuves, sont les seuls moyens efficaces, infaillibles et rassurants pour éviter toute contamination du VIH/sida.  Ce sont ces moyens qui respectent la dignité de la personne humaine et qui sont de nature à faire grandir la vie dans chaque individu et dans la communauté.

 

27. Ce choix implique l’opposition aux campagnes réduisant la lutte contre ce fléau au débat et à la distribution des préservatifs. Comme on l’a vu plus haut, la pandémie du VIH/sida est complexe. Elle touche à plusieurs dimensions de la vie humaine et de la vie sociale qui, manifestement, dépassent la seule prévention au moyen des préservatifs. Elle nécessite, bien sûr,  une prévention, mais une saine prévention. Elle englobe la prise en charge des personnes malades, leur propre accompagnement psychosocial et spirituel, ainsi que celui de leurs proches. C’est, en un sens, l’expression d’une crise des valeurs dont il faut prendre conscience et à laquelle il faut trouver des solutions efficaces. Son irruption questionne nos rapports sociaux, nos capacités morales, nos pratiques sexuelles. Elle interpelle nos consciences, celles de nos dirigeants politiques, de nos éducateurs et de nos professionnels de santé, ainsi que nos pratiques de solidarité. Elle met en évidence les lacunes de notre système de santé etc. On est bien loin du simplisme de la querelle sur les préservatifs. Car, en effet, c’est toute la vie des humains qui est invitée à de nouvelles responsabilités.

 

28. Le choix de la vie signifie rejet de l’usage des préservatifs comme moyen de prévention contre cette calamité. Les raisons suivantes sont bien évidentes. Primo, les préservatifs sont moralement prohibés parce que, quand l’Eglise parle des relations sexuelles, elle les envisage seulement dans le cadre de la vie d’un couple, c’est-à-dire d’un homme et d’une femme mariés religieusement, devant Dieu et devant l’Eglise. Dans ce cadre, les rapports sexuels sont une union d’amour, une expression de l’amour conjugal et de la fidélité, un acte digne et honnête, noble et sacré, une donation mutuelle vécue d’une manière vraiment humaine, dans l’entente des époux, le respect et l’enrichissement réciproques, et réalisée pour « le bien des époux eux-mêmes et la transmission de la vie »[26]. Evidemment, dans une telle union il n’y a pas de place pour les préservatifs.  C’est facile à comprendre.

 

29. Vous serez sans doute tentés de me demander ce que l’Eglise a « prévu » pour les personnes non mariées ou les époux (ses) infidèles qui se livrent aux relations sexuelles, par faiblesse de la chair ou pour des raisons qui leur sont propres. La réponse est simple. Dans leur cas,  que l’on retienne que c’est un péché. On ne peut pas le nommer autrement. Le sixième commandement de Dieu dit : « Tu ne commettras pas d’adultère » (Ex. 20,14). Le corps de l’homme n’est pas fait pour la fornication (Cf. 1Co 6, 13). A l’exemple de notre Seigneur Jésus Christ, nous ne condamnons pas ces personnes (Cf. Jn 8, 1-11). Une seule recommandation s’impose, celle de Jésus à la femme adultère : « Va, désormais ne pèche plus » (Jn 8,11).

 

Si ces personnes veulent obtenir le salut et renouer leur amitié avec Dieu, elles doivent reconnaître leurs péchés et s’en remettre à la miséricorde divine par la voie de la pénitence. De plus, sachons-le, l’Eglise, lieu privilégié du salut, est chargée par le Christ de montrer le chemin de la rédemption, de la libération intégrale et non celui du péché ou de la mort. Voilà pourquoi elle ne dit pas comment il faut commettre le péché contre le sixième commandement ou offenser la chasteté sans prétendument être contaminé par le VIH/sida ou par une quelconque maladie sexuellement transmissible.  L’Eglise n’enseigne pas aux hommes des stratégies pour pécher. A l’exemple de son divin maître, elle proclame un message du salut.  Jean XXIII a eu raison d’attester qu’ « à cette Eglise, « colonne et fondement de vérité », son très saint fondateur a confié une double tâche : engendrer des fils, les éduquer et les diriger, en veillant avec une providence maternelle sur la vie des individus et des peuples, dont elle a toujours respecté et protégé avec soin l’éminente dignité »[27].

 

30. Aussi, je saisis cette occasion pour rappeler qu’en ce qui concerne les couples discordants, c’est-à-dire lorsque dans un foyer au moins une des deux personnes mariées est séropositive, un tel cas doit être pris en charge pastoralement et traité avec charité à part. Je suggère aux agents pastoraux d’amorcer un cheminement spirituel avec le couple, cheminement au cours duquel le dialogue mené dans la vérité, en vue du plus grand amour, doit tenir une place de choix. Les époux doivent être mis devant leurs responsabilités, en vue de faire triompher l’amour, le vrai, et la vie.  Deux passages des Ecritures me paraissent utiles de les éclairer : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux pareillement » (Lc 6, 31.Cf. Mt 7, 12) et « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph. 2,5).       

 

31. Secundo, les campagnes de lutte contre le VIH/sida proposant les préservatifs nous semblent ambiguës. D’une part, elles banalisent les valeurs aussi précieuses que l’amour, le mariage, le caractère sacré et la noblesse de la sexualité humaine. Elles traitent celle-ci comme toute autre fonction humaine comme par exemple boire, jouer au football, aller à la pêche, etc. Mais non, du point de vue de notre foi chrétienne tout comme de celui de l’anthropologie africaine, la sexualité a une fonction sacrée liée à la vie et à la dignité de la personne humaine. Il n’est pas admissible qu’elle subisse un tel traitement banal et léger.  Il en est de même de l’amour.  Il ne se limite nullement aux rapports sexuels ou à la jouissance charnelle. Par contre, l’amour est plus noble que ces jeux égoïstes avec des préservatifs.  On peut tout aussi bien s’interroger sur le sort de la vie face à l’exaltation des préservatifs. D’autre part, quoique leurs propagandistes s’en défendent, la distribution de ceux-ci à la population incite sans nul doute à la proximité et au dévergondage sexuels.  On ne les distribue pas pour les garder dans les musées ! Les distribuer, c’est en quelque sorte inciter à des comportements de nature à déstabiliser la famille et la vie sentimentale des individus, surtout des jeunes.  En les utilisant, ces derniers courent le risque de ne pas connaître le vrai amour et ses délices. Dans tous les cas, leurs usagers sont entraînés à l’infidélité et à l’instabilité de la vie sentimentale.  Leur conception de l’amour est déformée. C’est un danger pour l’avenir de l’humanité.

 

Par ailleurs, du moins en Afrique, la publicité des préservatifs semble véhiculer un message selon lequel ils sont la solution déjà trouvée à la problématique du VIH/sida. Elle propage ce que le dominicain français Pierre-André Liégé avait appelé naguère « panthéisme moral »[28]. Tout se passe comme si la maîtrise de soi, la fidélité, l’abstinence et l’effort constant  sont trop difficiles… et que la solution à la portée de tous est le préservatif.  Pour s’en convaincre, il suffit de bien analyser certaines campagnes de la lutte contre le VIH/sida véhiculées par les médias.  Manifestement tendancieuse, cette propagande crée trop d’illusions et de faux espoirs pour être sérieuse.  Dans les milieux des jeunes de chez-nous, elle a des conséquences qui nous coûteront cher dans l’avenir.

 

32. Tertio, outre qu’ils sont moralement prohibés, les préservatifs ne sont pas d’une efficacité sans faille. Il me semble malhonnête que ceux qui les exaltent ne le disent pas souvent à haute voix à notre population. En effet, la performance technique de ces moyens de prévention est faillible. D’une part, des études scientifiques dignes de foi démontrent qu’ils ont une possibilité, si minime soit-elle, de laisser pénétrer le virus responsable du SIDA. Le pourcentage de cette perméabilité est certes variable. Mais la vérité est que les préservatifs ne protègent pas à 100%. Ils réduisent le risque d’infection, mais ne l’éliminent pas. C’est dire qu’accepter de les utiliser, c’est prendre le risque, quoique minime, de s’exposer à la contagion. C’est avec raison que Docteur Helen Singer-Kaplan, une non catholique, travaillant à l’Université de Cornell a déclaré sans détours que « compter sur les préservatifs, c’est «flirter» avec la mort ». Qui dit mieux ?

 

Leur caractère limité est aussi lié au danger qu’ils font courir quant à leur état et leur qualité dans un continent de fortes chaleurs et d’humidité comme l’Afrique. Beaucoup de gens avisés trouvent que la qualité des préservatifs distribués en Afrique est douteuse, peu fiable, voire médiocre. On peut en imaginer les conséquences.

 

D’autre part, les usagers des préservatifs réalisent-ils qu’ils sont rendus malades dans leur cœur et dans leur esprit en se mettant en tête qu’ils peuvent forniquer à chaque instant et avec n’importe qui, même sans un seul sentiment d’amour, pourvu qu’ils ne soient pas infectés? Que devient une société de tels individus en perte du sens de la noblesse de l’amour et du caractère sacré de la sexualité humaine ?

 

Quarto, on soupçonne qu’il existe de gros intérêts économiques de certaines sociétés internationales autour de la propagande des préservatifs.  Les sociétés fabriquant les préservatifs feraient de gros profits financiers en écoulant leurs produits, principalement en Afrique. Même sans croire à leur efficacité de protection contre le VIH/sida, elles font pression pour que l’on continue à les utiliser afin que leurs chiffres d’affaires augmentent. Est-il vraiment acceptable que nous, les Africains, continuions à servir ce genre d’intérêts étrangers et à enterrer nos morts ?

 

On croit aussi que les préservatifs sont un moyen utilisé par certains milieux en Occident comme idéologie du « contrôle de  la population », en l’occurrence dans les pays de l’hémisphère sud comme ceux d’Afrique. Ces milieux encourageraient l’usage des préservatifs pour limiter les naissances dans notre continent parce qu’ils croient entre autres que la démographie galopante est un facteur du sous-développement…  Une telle idéologie est erronée et ne peut favoriser l’éclosion de la vie en Afrique noire. Il est inadmissible que des Africains l’aident de l’une ou l’autre manière à réaliser ses rêves dans notre continent. Voilà un motif de plus pour exiger une bataille contre le VIH/sida dans la vérité et dans le respect de la dignité humaine.

 

 

 

33. Le caractère tragique de ce fléau est certes déplorable. Mais il ne doit pas servir de prétexte pour qu’on s’engage tête baissée dans cette lutte.  Deux exigences me paraissent devoir être absolument respectées.

 

D’une part, la bataille doit être menée dans la vérité, de manière transparente. Dans notre milieu, la vérité consiste d’abord à admettre que cette pandémie existe réellement. Elle n’est ni un châtiment divin, ni l’effet de  la  sorcellerie ou de la colère des ancêtres. Elle ne peut être la conséquence du jet d’un mauvais sort.  Par contre, comme on l’a dit plus haut, elle est due à un virus appelé VIH. Ses modes de contamination sont connues… Ensuite, la vérité c’est que ce fléau peut être vaincu en ayant un comportement responsable.  A cet égard, il importe de faire remarquer que la fidélité et la continence sont les moyens de lutte les plus efficaces. Ils sont respectueux de la dignité humaine. Il convient aussi de dire clairement que contrairement à ce qui se raconte, la continence n’est pas impossible et ne rend pas malade. Elle ne tue pas non plus. On doit aussi dire toute la vérité sur l’efficacité limitée des préservatifs que d’autres organisations exaltent, ainsi que leurs conséquences morales, psychologiques et économiques.  Sur ces préservatifs, il est important qu’une explication claire et limpide soit donnée à notre population sur la différence nette existant entre le fait de « limiter» les risques de contagion du VIH/sida  et celui d’« éliminer » les risques de contagion du même fléau. Enfin, se battre dans la vérité c’est aider à prendre conscience que les enjeux du VIH/sida en Afrique sont complexes.  Ils sont idéologiques, économiques, politiques et culturels.  La pauvreté est un facteur aggravant. Nos mœurs, la responsabilité de nos Etats, nos rapports humains, la gestion de notre liberté, nos liens avec la morale, etc. sont profondément questionnés par cette pandémie.

 

D’autre part, quoiqu’il en soit, notre combat doit préserver la dignité humaine. Il serait absurde de prétendre sauver l’homme sur le plan physique contre une atroce pandémie, tout en le tuant moralement ou psychiquement, en compromettant de l’une ou l’autre manière l’avenir de l’humanité. Tout doit conquérir à respecter le caractère sacré de l’homme sur toutes ses dimensions. La guérison doit être intégrale, complète. L’efficacité de la bataille doit être jugée non pas seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan moral, spirituel et psychique.  Il ne suffit pas de dire « la fin justifie les moyens », mais encore faut-il que ceux-ci soient respectueux de la valeur unique de l’homme.  C’est à ce niveau qu’il importe de mesurer l’importance des lanternes de la morale. Une société qui tente de s’en passer court à sa ruine et peut s’assurer de compromettre l’avenir de l’homme en tant que tel. En effet, tout comme les commandements de Dieu, la morale n’est pas un fardeau. C’est une lampe, un guide et un garde-fou dont la société a besoin pour son épanouissement intégral, sa stabilité et son progrès.   Elle invite à un dépassement de soi et à un questionnement intérieur devant nous conduire à relativiser certaines habitudes sociales et à évaluer nos pratiques existentielles. Les principes moraux doivent nous aider à mirer nos assurances et nos rêves dans la noblesse de notre idéal de vie et des valeurs auxquelles nous adhérons…

 

Dans cette optique, ce ne sont pas seulement les moyens de lutte qui sont visés, mais aussi toutes les recherches tendant à trouver une solution à la crise du VIH/sida. S’adressant aux scientifiques qui cherchent avec dévouement des solutions au VIH/sida, le Pape Jean-Paul II s’est exprimé en ces termes : « Sachez toujours reconnaître, avec une même attention, les normes éthiques au centre desquelles se trouve l’être humain avec sa dignité de personne : le respect de son droit à naître, à vivre et à mourir de façon digne constituent l’impératif de base auquel la pratique médicale doit toujours s’inspirer. Faites ce qui est en votre pouvoir pour sensibiliser la communauté sociale, les systèmes de santé nationaux et leurs responsables, afin que les ressources considérables destinées aux recherches et à leur application technique aient toujours comme finalité le service intégral à la vie »[29].  On le voit, la dignité inaliénable de la personne humaine et le service à la vie doivent être au cœur des préoccupations des chercheurs.  Ne dit-on pas que science sans conscience n’est que ruine de l’âme ?

 

S’ouvrir à la grâce et à l’espérance

 

34. La foi chrétienne est une grâce, un don. Elle ne peut être dissociée de l’espérance. En effet, le christianisme est une religion de l’espérance. Comme vient de le démontrer le Saint-Père, le Pape Benoît XVI, la foi chrétienne est essentiellement espérance[30]. Si notre foi nous oblige de lutter contre le VIH/sida dans l’amour, la compassion, la vérité, le respect de la dignité humaine et la promotion de la vie, cette bataille doit être ouverte à la grâce venant de Dieu lui-même et à l’espérance.  

 

Il nous faut, d’un côté, considérer le temps de la souffrance comme un temps de grâce.  C’est un temps à capitaliser pour se réconcilier avec Dieu, avec soi-même et avec les autres. Tout en luttant contre la maladie, la personne souffrante et son entourage doivent revenir à eux-mêmes, s’abandonner entre les mains de Dieu et régulariser leurs relations avec lui. Cela revient à dire que l’effort consistera à transformer l’épreuve en moment de grâce, de réconciliation, de conversion. Les accompagnateurs, principalement les prêtres, doivent ici jouer un rôle important.  Ils doivent conduire ceux qu’ils accompagnent à (re)découvrir Dieu à travers l’épreuve de la souffrance et de la maladie.  Ils s’efforceront de cheminer avec eux, dans la patience et la confiance.

 

Cette période est propice à la guérison intérieure, dont beaucoup de personnes touchées par la pandémie du VIH/sida ont tant besoin.  Il s’agit d’un processus consistant à soigner les cœurs brisés, à panser les blessures intérieures de la vie. Mais pour vivre le moment des souffrances de cette manière, il faut une ouverture au Dieu de la vie, de miséricorde et d’amour (Ps 146,3). Tous les efforts devront concourir à conduire les personnes qui souffrent à faire l’expérience de cette ouverture.

 

De l’autre côté, il faut se laisser animer par l’espérance.  Dans l’épreuve de la maladie, l’espérance est, comme a si bien dit l’Apôtre Pierre,  « la lampe qui brille dans un lieu obscur » (2Pi 1,19).  C’est un soutien indispensable qui nous permet de porter notre regard au-delà de la souffrance et de la douleur. Dans la foi, il est important de s’y appuyer en s’efforçant d’envisager la vie autrement.  Grâce à l’espérance, on ne se cramponne plus à régler les comptes de la vie présente, mais on considère celle-ci, à juste titre, comme un avant-goût de la Vie qui, à la vérité, nous prépare à la plénitude de la vie dans le Christ (Cf.1Jn 3,1-2).  

 

Grâce à cette espérance, on peut envisager que l’humanité trouvera un jour le médicament salvateur contre le VIH/sida.  Il faut vivre dans cet élan vital, espérer contre toute espérance.

 

La Vierge Marie, modèle du choix de la vie

 

35. La Très sainte Vierge Marie est le modèle du choix de la vie.  A l’Annonciation, elle fut sans doute placée devant un choix décisif. L’évangéliste Luc mentionne explicitement qu’ « elle fut toute troublée » (Lc 1, 29). Le « comment cela sera-t-il ?» (Lc 1,34) l’atteste éloquemment. Le « oui » de la Vierge Mère (Cf. Lc 1, 38) est un choix décisif de la vie.  En outre, une fois devenue enceinte, face au dessein de répudiation que fomentait Joseph avant le songe (Cf.Mt 1,19) et face à son entourage, elle a enduré de pires moments de souffrance qui l’ont certainement amenée à se questionner profondément. Devant la menace d’Hérode de mettre son enfant à mort, elle a accepté l’exil (Cf. Mt 2, 13-14) pour sauver la vie de cet enfant merveilleux. Aux pieds de la croix tout comme après la résurrection, la souffrance ne l’a pas empêchée d’opter pour la vie. A chaque étape de son existence, elle a fait le choix de la vie. Syméon avait fait une prophétie sur elle : « …et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! »(Lc 2, 35). Mais ni les douleurs de l’épée, ni les circonstances de la vie ne l’ont détournée de son option pour la vie.

 

La Mère du Sauveur est véritablement modèle du choix de la vie. Elle a enduré d’atroces souffrances pour que s’accomplissent les promesses divines, mais elle n’a pas failli à sa mission.  Elle a vécu de dures épreuves dans la foi et dans l’espérance, en optant chaque fois pour la vie. Les personnes infectées ou affectées par le VIH/sida peuvent, à juste titre, recourir à elle dans leurs épreuves.

 

III. CONCLUSION

 

36. La pandémie du VIH/sida est un défi de taille pour la société et pour l’Eglise. Elle place tout le monde devant un choix existentiel déterminant. Aux yeux de l’Eglise, c’est le choix de la vie qui s’impose. Car, en effet, c’est le chemin de la vie que Dieu nous apprend (Cf. Ps16, 11). Mais pour faire un tel choix, en comprendre la portée et la pertinence, il est important, au préalable, de se laisser illuminer par la « lumière née de la lumière ». Il faut, ensuite avoir une connaissance générale de la pandémie en question, de ses voies de transmission, de ses stratégies d’attaque et de l’ampleur de ses ravages. Cette connaissance permet de démasquer certaines illusions, de convertir notre regard porté sur le fléau lui-même et sur ceux qu’il touche. Le fléau nous paraît, dès lors, comme renfermant un message à décrypter. Ceux qu’il touche ne sont pas pour autant des parias, des pécheurs publics. Mais non. Ce sont plutôt des frères et sœurs à aimer, à assister, à visiter…et avec qui la vie est toujours possible sans danger. A l’instar du bon Samaritain, nous devons nous acquitter d’une dette de compassion envers eux (Cf. 10, 29-35). Face à un tel fléau, il nous faut entrer dans la bataille, non pas tête baissée, mais en demeurant soucieux de la vérité et du respect de l’éminente dignité de la personne humaine. Il nous faut surtout acquérir un réflexe de résistance, nous liguer pour que triomphe le choix de la vie.

 

Que la Vierge Marie, Notre Dame de la consolation, intercède pour nous afin que nous sachions toujours choisir la vie dans la bataille contre la pandémie du VIH/sida.

 

 

 

Donné à Kasenga, le 24 décembre 2007

Solennité de la Nativité de Notre Seigneur.

 

 

† Fulgence MUTEBA MUGALU

Evêque de Kilwa-Kasenga



[1]  Lumen Gentium, n. 48. Voir aussi Catéchisme de l’Eglise catholique, nn. 774-776.

[2]   Dans l’homélie d’ordination des prêtres, il est en effet recommandé : « Communiquez à tous cette parole de Dieu que vous avez vous-mêmes reçue avec joie. En méditant l’Ecriture, croyez ce que vous lisez, enseignez ce que vous croyez… ». JOUNEL, P. et EVENOU, J.,  Célébration des sacrements, Paris, Desclée, 1983, p. 660.

[3]  JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Redemptor hominis,  n. 12.

[4]  Cf. Déclaration du comité permanent de la CENCO sur la lutte contre le VIH/SIDA, n. 6.

[5]  Cf. JEAN-PAUL II, Fides et ratio, n. 49.

[6]  Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1646.

[7]  Cf. Gaudium et spes, n. 48, § 1.

[8]  Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, nn. 2337s.

[9]  Ibid., n. 2350.

[10]  Lire MUDIJI MALAMBA, Th. “ Initiation aux vertus ancestrales et à l’art de raisonner”, dans L’éducation de la jeunesse dans l’Eglise-Famille en Afrique. Actes de la XXIe Semaine Théologique de Kinshasa du 22 au 28 novembre 1998, p. 51-59. Voir aussi NGOY KATAHWA, N. (Mgr), « Initiation aux croyances ancestrales », dans Ibid., p. 41-50.

[11]  Cf. Lumen Gentium, n. 7

[12]  Cf. JEAN-PAUL II, Lettre apostolique Salvifici dolororis,1984.  

[13]  Pour comprendre la notion de signe des temps, lire Mt 16, 1-4 ; 12, 38-39 ; 24,3.30 ; Mc 8, 11-13 ; Lc 11,16.29 ; 12,54-56 ; 1Co 1,22. Voir aussi Gaudium et spes, n. 4, §1.  Voir aussi COTTIER, G., « Sida : un signe des temps ? », dans Nova et Vetera, 4(1990), p. 241-258.

[14]   Cité dans LWAMINDA, P. et CZERNY, M. (éd.), Les évêques catholiques d’Afrique et de Madagascar brisent le tabou et parlent du VIH/sida. Notre prière est toujours pleine d’espérance, Kinshasa, Médiaspaul, 2005, p. 160.

[15]  Voir JEAN-PAUL II, Ecclesia in Africa, n. 116.

[16]  Cf. Déclaration du Comité Permanent de la CENCO sur la lutte contre le VIH/SIDA,  n. 6.

[17]  BENOIT XVI, Jésus de Nazareth. Du baptême dans le Jourdain à la transfiguration, Paris, Flammarion, 2007, p. 98.

[18]  JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Evangelium vitae, n. 6

[19]  Ecclesia in Africa, n. 116.

[20]  Cf. CONSEIL PONTIFICAL POUR LA FAMILLE, Vérité et signification de la sexualité humaine. Des orientations pour l’éducation en famille, Kinshasa, Médiaspaul, 1997.

[21]  Jean-Benoît Casterman a publié une série de petites brochures fort intéressantes pour l’éducation sexuelle des jeunes.  Les éditions paulines en assurent la diffusion en RDC dans la collection «  Jeunesse ». Docteur Patrick Dixon dispose d’un bon ouvrage à cet effet. Cf. Le sida et les jeunes, 1989.

[22]  Voir MUYENGO MULOMBE, S., « Face au SIDA : Amour, Foi et Espérance comme réponses chrétiennes », dans Congo-Afrique, 374(Avril 2003), p. 241-255.

[23]  Lire JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Evangelium vitae, 1995.

[24]  TEMPELS, P., La philosophie Bantoue (Traduit du Néerlandais par A. Rubbens), Paris, Présence Africaine, 1948.

[25]  JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Redemptor hominis, n.14.

[26]  Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2363.

[27]  JEAN XXIII, Mater et Magistra, n. 1. C’est moi qui souligne.

[28]  LIEGE, P.-A., Vivre en chrétien (Je sais-Je crois,5), Paris, Librairie Arthème Fayard, 1960, p. 12.

[29]  JEAN-PAUL II, “ Aller au-delà des soins physiques, rencontrer en chaque malade une personne humaine”, dans Dolentium Hominum, 46, 1(2001), n.4.  

[30]  Lire BENOIT XVI, Lettre encyclique Spe salvi, du 30 novembre 2007.