ven 1 fév 2008
Education aux élections par des proverbes
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L'éducation est une action dans la mesure où elle a comme but de faire venir à la lumière ce qu'il y a de meilleur dans l'être humain. En d'autres mots, une vraie éducation est aussi conscientisation. Education et conscientisation sont les deux faces d'une même monnaie.
Pour que cette action réussisse, une certaine méthode s'avère indispensable. Pour notre cas, la parémiologie comme méthode s'impose. Celle-ci s'appuie sur l'usage des analogies. Cet usage appelle à voir ensemble ce qui se passe dans le monde inorganique, végétal, animal et humain; cet appel à voir ensemble invite à juger ensemble et pousse à retenir pour agir. Cette méthode complète celle de l'Abbé Cardijn se résumant en un slogan "voir -juger-agir"[1].
Archives de Philosophie africaine (ARPHA)
(Publication du Centre d’Etudes et de Recherches en Philosophie Africaine –CERPHA)
Volume 1 Numéro 11 juin 2005, p.207-216.
L'EDUCATION AUX ELECTIONS PAR LES PROVERBES[1]
Louis MPALA MBABULA(Abbé)
INTRODUCTION
Les élections, on en parle souvent, et ce, chaque fois qu'un tournant historico-politique se pointe à l'horizon. Combien de fois furent-elles réussies, extorquées, boycottées forcées, annulées ou irréalisées? Aux historiens de nous le dire. Certaines O.N.G sont nées chaque fois que les élections, dans notre pays, sont annoncées. Qu'est –ce qui prouve que cette fois-ci ou l'année prochaine, elles auront lieu? Pourquoi doit-on seulement en parler quand la date, soi-disant butoir, approche? La société civile compte les jours à rebours. Que fait-elle pour que la réussite de ces élections soit un acquis? Ou mieux, qu'est-ce que chacun de nous, compte tenu de sa parcelle de pouvoir, fait-il pour que les élections soit une chance historique pour notre pays? C'est la réponse à cette question qui justifie ma présence parmi vous.
Je ne suis ni juriste, ni historien, ni politologue, ni activiste, ni politicien, ni "ongéniste", mais je suis philosophe, et en ce moment, je voudrais m'appesantir sur l'Education aux élections à partir des proverbes. Ces derniers, à mon humble avis, ont une vertu pédagogique pour la simple raison qu'ils sont formulés et énoncés à partir de ce qui se voit. Celui qui les utilise comme celui qui les écoute, se trouvent dans un même contexte psychologique, existentiel et culturel. Autrement dit, tous se référent à une même chose. Chacun sait et est conscient de ce dont on parle.
Muni de mon outil pédagogique, je m'en vais vous présenter la structure de mon texte. Je commencerai par définir mon appareil conceptuel ,à savoir les concepts éducation et élection.
En outre, je dirai un mot sur la démocratie en faisant voir que celle-ci est ce que sont ses artisans. Je terminerai par inviter les gens à choisir leurs représentants en fonction de la compétence, de la méritocratie, du projet de société et non en fonction du tribalisme. Les proverbes interviendront à tout moment.
Passons au premier point.
1. DEFINITION DE L'APPAREIL CONCEPTUEL
1.1. EDUCATION
Le département des sciences de l'éducation a ses grands théoriciens de l'éducation dont Littré, Emile Durkheim, J.J. Rousseau, etc. J'aimerais y ajouter le feu regretté professeur MPIANGU DI NZALU qui, le premier, m'a introduit dans l'univers des théoriciens de l'éducation. Dans le cadre de mon intervention, je retiens la définition de Mahatma Gandhi pour qui "la vraie éducation consiste à faire venir à la lumière le meilleur d'une personne"[2]. La question fondamentale est celle de savoir ce qu'il y a de meilleur dans une personne. A mon humble avis, l'Aspiration à devenir plus, à être plus tout en étant mieux, est ce qu'il y a de meilleur dans toute personne saine.
Cette aspiration ne peut être réalisée que dans un pays de droit, dans un pays en paix politique, économique, sociale et culturelle. Or notre pays est dans une situation précaire, dans un doute pluridimensionnel. Voilà pourquoi chacun de nous se sent en insécurité ontique, et cela donne le vertige existentiel de telle sorte qu'il y a de quoi dire que l'existence au Congo-Kinshasa est absurde. Comme l'espoir est le seul roseau auquel je m'accroche, il est bon que je dise un mot sur les élections, occasion de cette aspiration à devenir plus, à être plus tout en étant mieux pour être rêvée.
1.2. ELECTION
Du verbe latin eligere et du substantif latin electio signifiant élire, une élection implique normalement un choix éclairé entre deux ou plusieurs possibilités qui peuvent être les systèmes politiques, les candidats, etc.
Ainsi, "en politique l'élection est le mécanisme par lequel on permet aux citoyens d'un pays d'opérer leur choix sur le mode de gestion politique et sur les dirigeants et animateurs des institutions publiques"[3].
Comme on le voit, les élections jouent un grand rôle. Elles préparent l'avènement de la démocratie.
2. DEMOCRATIE
De prime abord, je signale que la démocratie est une affaire d'hommes. elle n'est pas un cadeau à offrir ou à recevoir sur un plateau d'or. Projet, la démocratie l'est. Elle n'est pas un "déjà-là", elle devient un "pas- encore", i.e. une conquête. Autrement dit, partout où elle semble être un modus vivendi, elle est en-deça de ce qu'on attend d'elle. Ceci ne peut surprendre pour la simple raison que la démocratie ne peut être que ce que les hommes sont et veulent être.
Si son ambition est d'être "le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple" comme le souhaitait Abraham Lincoln, sa pratique est à la hauteur de la grandeur et de la misère humaine. Toutefois, étant le moindre mal parmi les mauvais systèmes politiques, la démocratie exige, de la part de ses artisans, l'inscription, dans leurs cœurs, de certains piliers dont la souveraineté du peuple, un gouvernement reposant sur le consentement des gouvernés, la règle de la majorité dont le danger est d'être la dictateur sur la minorité, la reconnaissance des droits de la minorité condamnée à être dirigée par les personnes qu'elle n'a pas choisies, la garantie des droits fondamentaux de la personne, les élections libres et justes, l'égalité devant la loi même si celle-ci est taillée parfois sur la mesure du n°1 du gouvernement, la procédure légale régulière bien que celle-ci prenne du temps "inchronocable", les limites imposées au gouvernement par la constitution qu'on change parfois selon les circonstances profitables à certains et non à d'autres, le pluralisme social, culturel, politique et économique frôlant parfois l'anarchie, les valeurs de tolérance et de pragmatisme frisant parfois le laxisme, les valeurs de coopération et de compromis sacrifiant parfois les intérêts de la minorité, etc. Comme d'aucuns peuvent le constater, il faut toute une vie d'éducation permanente pour planter et faire croître ces piliers dans nos cœurs. Voilà pourquoi l'anarchie et la tyrannie guettent la démocratie. Vous comprendrez pourquoi Platon et Aristote, tous Grecs, ne la portent pas dans leurs cœurs. Il suffit que les voyous soient nombreux au pouvoir pour élire des lois taillée sur leur "voyoumanie".
Voilà pourquoi avant les élections qui doivent, en principe, donner naissance à ce mode de gestion politique, il est bon d'avoir des gens éduqués, conscientisés, détribalisés. Comment y parvenir ? Plusieurs stratégies sont envisageables, dont le recours aux proverbes.
3. EDUCATION OU CONSCIENTISATION PAR LES PROVERBES
L'éducation est une action dans la mesure où elle a comme but de faire venir à la lumière ce qu'il y a de meilleur dans l'être humain. En d'autres mots, une vraie éducation est aussi conscientisation. Education et conscientisation sont les deux faces d'une même monnaie.
Pour que cette action réussisse, une certaine méthode s'avère indispensable. Pour notre cas, la parémiologie comme méthode s'impose. Celle-ci s'appuie sur l'usage des analogies. Cet usage appelle à voir ensemble ce qui se passe dans le monde inorganique, végétal, animal et humain; cet appel à voir ensemble invite à juger ensemble et pousse à retenir pour agir. Cette méthode complète celle de l'Abbé Cardijn se résumant en un slogan "voir -juger-agir"[4].
Vous savez, les sages disent que "ce n'est pas le jour du combat qu'on aiguise sa lance". De même, nous devons déjà nous préparer aux élections en aiguisant nos armes intellectuelles.
La première éducation des élections consistera en l'éducation à la connaissance de soi, à l'autocritique. Il est bon de savoir, comme le soulignent nos ancêtres, que "c'est d'abord à l'intérieur de la maison qu'il fait nuit" et il y a plusieurs catégories de nuit dont le tribalisme, l'ignorance, etc. Les électeurs doivent se souvenir, à la suite de nos ancêtres, "qu'on ne peut marcher en regardant les étoiles quand on a une pierre dans son soulier". La pierre symbolise les différents défauts qui font que l'on n'aille pas en avant dans un dialogue, On peut identifier, ensemble, nos "nuits" et nos "pierres". Ceci est impérieux, car la nuit et la pierre peuvent handicaper nos efforts d'asseoir des animateurs politiques dignes. De cette éducation à l'autocritique, l'on doit aboutir à forger une force d'âme en invoquant ces proverbes: "La crête du coq ne fond pas dans la sauce" et "même si la pluie frappe le piment, sa virulence ne diminue pas". Autrement dit, les électeurs sont invités à être comme le piment et la crête du coq. Ils doivent être, grosso modo, incorruptibles par les candidats courtisans.
Comme "les élections permettent de juger et de sanctionner le comportement des dirigeants antérieurs sur base de leur conduite politique, passée"[5], les électeurs seront éduqués à sanctionner le vagabondage politique car ,insistent nos sages, «celui qui se réveille d'une maison, puis d'une autre n'habite nulle part". "As-tu déjà rencontré un oiseau à deux nids»?, nous interpellent-ils. En outre, si quelqu'un, de notre tribu soit-il, a fait piètre figure dans les anciennes gestions politiques, l'on doit le désavouer, car ,nous conseillent nos sages, «branche pourrie n'est bonne qu'au feu", et "si l'aile du papillon est percée, il ne s'envole pas», nous rappellent-ils. Tout le monde sait, font remarquer nos ancêtres, que "si le fou enlève son caleçon, on ne l'enlève pour l'imiter" et nous le savons bien, par notre expérience et en accord avec nos vieux, que "le toit de la case finit par tomber si l'on ne remplace les poutres rongées par les termites". Alors retenons, toujours avec nos ancêtres, que "donner raison à celui qui ne l'a pas est pauvreté d'esprit" et même le réalisme nous l'enseigne : "Défend la cause de ton frère, mais pas jusqu' à boire le poison à sa place", conseillent nos ancêtres.
En voulant sanctionner les "prédateurs", les "vampires", les "vagabonds", les "terminators", les "intellectuels dévoyés et voyous", "les élections servent d'arme de dissuasion et de garde-fou pour le futur"[6]. Voilà pourquoi les électeurs doivent savoir ce à quoi ils veulent en venir, car, pointent nos sages, "l'oiseau qui s'envole se dirige vers un arbre". Alors de leur part, une vigilance est exigée car les candidats ne se laisseront pas faire, eux qui savent bien ,toujours à la suite de nos anciens, que "si tu veux grimper haut, c'est au troc que tu dois t'accrocher, pas aux fleurs"; eux qui n'oublient jamais, après avoir vu nos ancêtres se concerter, que "pour qu'une banane mûrisse, il faut un soutien"; eux qui comprennent ,en tant que fin escrocs, que "si tu n'as pas de maïs, les poules ne te suivront"; eux qui voient bien que "la vache ne peut boire si elle ne s'appuie sur sa patte de devant". Ils ont besoin d'un "tronc", d"'un soutien", de la "patte de devant" et de "maïs". Aux électeurs de leur dire en répétant nos ancêtres: "Même si le cancrelat s'est noirci au charbon, la poule ne s'y trompe"; aux électeurs de rétorquer avec la parole des sages: "Quand on loue le palmier, c'est qu'on veut l'arracher"; aux électeurs de faire remarquer après avoir retenu la leçon de nos vieux: "Ce qui se dit lors de la pêche n'est pas ce qui se dit au partage des poissons"; aux électeurs d'ironiser ,une fois la sagesse acquise: "Le repas ne dit pas de lui-même qu' il est bon"; aux électeurs de provoquer avec la remarque de nos ancêtres: "La langue ne dit pas toujours ce que le cœur pense"; aux électeurs de se flatter ,une l'escroquerie découverte :"Quand le chien a de l'argent, on lui dit ;"Monsieur le chien"".
De la part des électeurs, la prudence doit être de mise. Cette prudence est l' autre nom d'autocritique. Ils doivent se souvenir que "l'oiseau ne se pose pas sur un arbre inconnu",nous avertissent nos sages. Qu'ils connaissent bien leurs candidats. Qu'ils ne soient pas distraits, car ,pensent nos vieux, "si tu veux avoir raison contre le scorpion, balaie bien ta cour". Sachant dans quel contexte socio-politique sont-ils, qu'ils se convainquent que c'est "quand il y a des poules dans la case d'un malade, [que] les féticheurs ont les yeux dessus", constatent nos anciens. Oui, tous les candidats sont des féticheurs proposant, par leurs projets de société, les remèdes pour guérir le pays en pillant les "poules" se trouvant dans la case congolaise. D'où, je dis, après nos sages, aux électeurs :"vous avez peur de serpent; alors ne laissez pas de grands trous dans la muraille".
Puisque "les élections permettent d'éviter les abus comme le détournement du pouvoir et le non-respect des droits de l'homme"[7],il est bon de faire un choix éclairé des candidats. Ces derniers doivent avoir la qualité de "Na Mpundu" ou "Mwambuyi" car "quand une mère a des jumeaux ,elle doit dormir sur son dos";une autre qualité sera comparable, disent nos sages, à "la queue de la vache [qui]surveille la droite et la gauche". Que les électeurs réfléchissent sur des devises d'anciens chefs comme celles-ci: "A la cours où règne le léopard ,le bouc ne vient pas poursuivre la chèvre", "la mère-poule ne marche pas sans se retourner vers ses petits", "le rameur ne craint pas les vagues". Ces devises ont un idéal :protéger les gens et leurs biens ,et protéger l'intégrité territoriale.
Toutefois, les électeurs ,tout en sachant que "les élections favorisent la manifestation de la pleine citoyenneté ,de l'égalité primaire entre tous les citoyens [et qu'elles]constituent l'arme la plus importante que possèdent les citoyens éveillés"[8],doivent retenir que "les hommes sont toujours moitié serpents et moitié crapauds ", dit-on et qu'il n'y a pas de vraie garantie sur la probité, l'équilibre, la maîtrise de soi, le sens du service des autres dans l'abnégation de la part des élus. Les électeurs resteront toujours des échelles dont les élus se serviront pour atteindre le toit avec le danger de pisser sur leurs têtes. Mais, aux électeurs de ramasser les pierres et de les jeter sur les élus à travers certains comportements de mécontentement en attendant d'autres élections, au cas où elles auraient lieu, tôt ou tard. Oui, "le serpent peut bien courir ;mais sans devancer la tête" et "quand on oublie son origine la fin n'est pas bonne"[9], dit-on.
Quelle sera ma conclusion?
CONCLUSION
Les élections sont une chance à la condition que les électeurs soient éduqués. Il y a plusieurs stratégies pour y arriver. Et tous les conférenciers présents sont des éducateurs. J'éduque à partir (i.e. en partant de ) et à travers (i.e. en passant par)les proverbes .Ceux-ci conscientisent et ont la vertu pédagogique ,car les personnes engagées dans cette action éducative ont un contexte commun de référence et savent tous quel but faut-il atteindre.
Que dire encore?" Ce que nous voyons, c'est de ça que nous parlons", et "une fable est un pont qui conduit à la vérité" ,ont reconnu nos ancêtres.
J'ai dit et je vous remercie.
[1] Conférence tenue lors du Colloque sur les élections en R.D.C./Université de Lubumbashi du 18 au 20 août.
[2] M.K. GHANDI, Antiche come le montagne, Milano, 1983, p. 203.
[3]
[4] OLES A MBA, Conscientiser un peuple, comment faire? Kinshasa, Baobab, 1995, p. 39
[5]
[6] Ib.,, p. 26
[7] Ib.,p.27.
[8] Ib.,p.27.
[9] Tous les proverbes cités sont tirés de G.DUFOUR,Cinq mille proverbes africains pour la loi des hommes nouveauxnBukavu,Ed.Bandari,1990.