Le néo-tribalisme fait surgir certains défis pastoraux. Il y a, par exemple, le défi de la survie des groupes spirituels au sein de l’Eglise. Les groupes traditionnels comme la Jama Takatifu, la Legio, l’Action Catholique, etc. ne sont plus capables d’attirer les chrétiens et ceux-ci se trouvent mieux là où l’on peut être à la mode en parlant du corps, du sexe, de la boisson, etc. L’Eglise ne donne plus des conférences ou des enseignements religieux portant sur le corps, le sexe, etc., car les théologiens moralistes se tarent dans des séminaires et ne se manifestent pas sur les lieux publics comme les CEV (communautés ecclésiales vivantes), la radio, la télévision et les salles de conférence. On ne sait pas remettre en question les nouveaux codes et cultes que se forgent les nouveaux néo-tribalistes.

LE NEO-TRIBALISME COMME UN DES DEFIS PASTORAUX DE L’ARCHIDIOCESE DE LUBUMBASHI A L’ERE DE LA POSTMODERNITE

par Professeur Abbé Louis MPALA Mbabula/UNILU

Ce texte est un extrait d’un livre en chantier dont le titre sera Les défis pastoraux de l’Eglise catholique du Katanga à l’Ere de la Postmodernité. Le résumé du livre aurait pu être exposé lors du Colloque portant sur le Centenaire de l’Archidiocèse de Lubumbashi. Dans cet extrait, je m’appesantis sur le néo-tribalisme, une des caractéristiques de la Postmodernité. Celle-ci ne sera pas définie faute d’espace. Le néo-tribalisme engendre des défis pastoraux dans un milieu urbain et l’archidiocèse de Lubumbashi est invité à être attentive pour  l’orientation de sa pastorale et le raffinement de ses méthodes d’évangélisation. C’est en tant que philosophe prêtre que je fais cette réflexion.

Le néo-tribalisme passe  pour une des caractéristiques   de la  Postmodernité. Le néo-tribalisme  est une  métaphore, selon Michel Maffesoli,  pour  décrire  les  rassemblements  affinitaires  qui    paraissent  miter  le corps  social  .  Il  y a  une  multiplicité  d’affinités  électives  qui , dans  tous  les  domaines, constituent  ces micro-tribus  dont  nous  sommes  parties  prenantes  au  travers  des  diverses  institutions  auxquels  nous  appartenons.          

A dire vrai, le  néo-tribalisme  manifeste  la  saturation  des  institutions  modernes  comme la famille  nucléaire, les églises traditionnelles, les  syndicats, les partis  politiques,  etc.  Ces  institutions  ne  jouent  plus  leur rôle  traditionnel, celui de guide  pour  atteindre  un  but.  Elles  existent, mais  leur  état  est  mité.  On  les  voit  comme  on  verrait  la lumière  d’étoiles  déjà mortes.

C’est  au sein  du néo-tribalisme  que la  logique  d’identification (et  non  d’identité)  a droit de cité.  Cette  logique  est beaucoup  plus   collective.  On  y  expérimente  la culture   du sentiment.   On  s’agrège , dit Michel Maffesoli,  suivant les  occurrences  ou les  désirs.  C’est  une espèce de hasard collectif  qui  prévaut . Le ciment, dans ce néo-tribalisme, a pour valeur, admiration, goût. Ceci constitue  les vecteurs  d’une éthique nouvelle.

La  Postmodernité,  à travers  son néo-tribalisme , crée  une  socialité  confuse,  hétérogène,  mouvante.  En effet,  l’indifférenciation  sexuelle, le  syncrétisme  idéologique  et la  mutualité  professionnelle  délimitent  un  nouvel  esprit  du temps. C’est  en fonction  de cela  qu’il  faut  considérer  l’aspect gyrovague  de ces  tribus.

Dans  le néo-tribalisme, on  expérimente  l’entraide, la  solidarité, le partage   du sentiment, l’ambiance   affectuelle.  On y  recherche  la fusion,  on y éprouve  le plaisir  d’être ensemble  sans  finalité  ni emploi,  on  y vit le  concordisme  de pensée, d’habitude.  Le style de vie  dans  ce  néo-tribalisme, c’est  avant  tout  le fait  de  n’exister  que  dans  et par  le  regard  et la  parole de l’autre, nous renseigne Michel Maffesoli.

Dans le néo-tribalisme, le  nouveau lien  ne  se base  plus  sur la  descendance  d’un  ancêtre  commun, ou encore  moins  sur  la  communauté  sanguine.  Le lien  est, au  contraire, fondé  sur  l’émotion partagée,  le  sentiment   collectif.  Il  y a  un vrai « consensus », au sens  étymologique de  cum-sensualis,  signifiant « sentiment  partagé ».

On se  colle  l’un  à  l’autre  et on  adhère  aux  autres  en fonction  des goûts, des  origines, des  rêves, des   histoires  ou mythes  communs.

Le néo-tribalisme  est un  nouveau  modus  vivendi, une  nouvelle  socialité  avec  ses  hauts  lieux , par exemple,  ceux  de la  rencontre  sportive, religieuse, musicale, intellectuelle etc.  A dire  vrai, et en cela  Michel  Maffesoli  a raison, le  lieu  fait  lien.  L’espace  est une  sorte  de « milieu », «  médiance », «  reliance », c’est-à-dire  quelque chose qui  me lie   aux autres , il est ce qui  renvoie  à la  confiance et  que l’on  peut  éprouver  pour  les autres, ou  confiance qu’on éprouve pour  les  autres, ou  avec  les autres  devant quelque  chose  qui nous  est  extérieur .

            Puisque  le lieu  fait  lien, il n’est  pas  surprenant que   le néo-tribalisme se caractérise par l’ émergence de nouveaux  codes,  de  nouveaux  cultes, comme  ceux  du  corps,   du sexe,  de l’image. 

Dans le néo-tribalisme, se vit la notion de l’altérité, le « nous collectif ». Cependant cette altérité faite des personae engloutit ses membres. Chacun s’y perd, car dès le point de départ il y a fragmentation identitaire et à la place  surgit l’identification.  Cela  nous fait comprendre le rôle des hauts lieux (sportifs, religieux, musicaux, intellectuels, etc.). Ce sont  des lieux où il est possible de se reconnaître tout en s’identifiant aux autres, des lieux où, sans se soucier de la maîtrise de l’avenir, on aménage son présent, des lieux enfin où s’élabore cette forme de liberté intellectuelle en prise directe avec ce qui est proche et concret. Ces lieux correspondent à toutes choses qui font de l’espace vécu non pas le refuge d’un individualisme furieux et immobile, mais bien la base à partir de laquelle vont s’opérer ces excursions, ces « sorties » qui bout à bout vont constituer l’ordre d’une nouvelle socialité.

 

Le néo-tribalisme fait surgir certains défis pastoraux. Il y a, par exemple, le défi de la survie des groupes spirituels au sein de l’Eglise. Les groupes traditionnels comme la Jama Takatifu, la Legio, l’Action Catholique, etc. ne sont plus capables d’attirer les chrétiens et ceux-ci se trouvent mieux là où l’on peut être à la mode en parlant du corps, du sexe, de la boisson, etc. L’Eglise ne donne plus des conférences ou des enseignements religieux portant sur le corps, le sexe, etc., car les théologiens moralistes se tarent dans des séminaires et ne se manifestent pas sur les lieux publics comme les CEV (communautés ecclésiales vivantes), la radio, la télévision et les salles de conférence. On ne sait pas remettre en question les nouveaux codes et cultes que se forgent les nouveaux néo-tribalistes.

En outre, le néo-tribalisme accompagné du vagabondage crée un défi pastoral lié au syncrétisme religieux. Le chrétien, par la fragmentation identitaire, trouve normal d’appartenir à la fois aux sociétés secrètes et au christianisme. Il ne trouve pas de contradiction entre les enseignements faisant de Jésus Christ un Maître initié, non mort sur la croix et non ressuscité et Jésus Christ, Dieu-Homme, Sauveur du monde, mort sur la croix et ressuscité.  L’Eglise ne donnant plus des enseignements sur ce sujet (réincarnation différente de la réincarnation), se refuse d’interpeller de tels chrétiens surtout s’ils se montrent influents dans la vie matérielle paroissiale. Ainsi il n’est pas surprenant que  les adeptes de sociétés  secrètes recrutent leurs membres dans l’Eglise.

L’on ne doit pas garder silence sur la présence publique-sur les chaînes- des sociétés secrètes, dont le secret se situe à présent sur les initiations et non sur leur existence. Ces sociétés font partie du néo-tribalisme sophistiqué. Leurs lieux de rencontre font lien comme tout autre lieu informé sur le sens du lieu et du lien. Le lieu faisant lien, l’Eglise doit amorcer une nouvelle spiritualisation du lieu.

Ajoutons aussi le défi charismatique comme fils du néo-tribalisme. Les groupes charismatiques sont les vrais néo-tribalistes qui mettent certains bergers au rang de figures symboliques et les pasteurs-clercs sont souvent considérés comme des païens ou des serviteurs du diable. Les chrétiens postmodernes fréquentant les groupes charismatiques font des offrandes à leurs bergers et ne savent pas souvent soutenir les CEV et les paroisses. La dîme ne va pas toujours à qui de droit, mais au berger gourou. Celui-ci est même considéré plus puissant que le prêtre. Petit à petit, certains chrétiens deviennent  anticléricaux conscients ou  inconscients. A la paroisse, ils n’y vont presque pas ; aux CEV ils  sont à compter au bout de doigt. Le lieu où ces groupes se réunissent, constitue des liens qui se font. L’Eglise est conviée à re-évangéliser les groupes charismatiques et à les aider à retrouver leur  présence comme  don de l’Esprit Saint pour l’Eglise universelle, et non une instance hystérique et lieu d’expérimentation ou ring entre Jésus-Christ et Satan. La demande des disciples de Jésus vaut encore son pesant d’or : « Seigneur, apprends-nous à prier. ». L’on doit organiser des enseignements à ce propos. La nouvelle évangélisation exige !

            Par ailleurs, l’homme postmoderne, néo-tribaliste, a besoin de l’intégration et de par son vagabondage identitaire, il est devenu un « touriste spirituel », un « étranger spirituel » et c’est le gourou du groupe qui a le dernier mot sur lui et non Dieu YHWH.

Si nous devons considérer l’homme des religions traditionnelles africaines comme le premier homme dont le sens de la vie est donné, en dernière analyse, par le monde invisible à travers la communauté  et celui de la colonisation comme le deuxième homme ayant la « civilisation occidentale » comme le modèle existentiel, celui de l’indépendance comme le troisième homme se considérant maître  et libre dans le choix de son existence (quand bien même cela ne serait pas vrai sur toute la ligne), l’aujourd’hui est l’époque du quatrième homme, celui de la consommation audiovisuelle, de l’image, etc. Le primat de la consommation et de l’image, étant une autre des caractéristiques de la Postmodernité, engendre d’autres défis pastoraux dont  je ne peux pas parler, faute d’espace.

De ce qui précède, on comprendra que notre société expérimente un mode de vie qui touche les chrétiens. Le néo-tribalisme secoue, à sa manière, l’Eglise et une pastorale appropriée s’avère nécessaire  et cela exige de nouvelles méthodes d’évangélisation et une formation pluridisciplinaire des agents pastoraux. Les défis pastoraux étant nombreux, chacun de nous doit suggérer, selon sa spécialité , et ce grâce à ses analyses, quelques pistes de solution.