ven 11 jan 2008
Quelle éthique du travail à l'ère de la mondialisation?
Par Abbé Louis Mpala in Mondialisation et Altermondialisme← Bioéthique biblique | La conception de l'au-delà dans l'Egypte antique →
Ce texte est une conférence tenue en date du 2 mars 2007 et a été publié dans les ANNALES DU CENTRE UNIVERSITAIRE DE KASUMBALESA, Numéro spécial Vol I No 1 (2007), p.6-19
An.cuksa vol. I N°1(2007), p. 6-19
QUELLE ETHIQUE DU TRAVAIL
A L’ERE DE
par Abbé MPALA Mbabula[1]
Résumé : L’Auteur relève que la mondialisation actuelle appelle une réflexion et un plaidoyer pour une nouvelle éthique du travail : l’« éthique humano-écologique » qui tienne en compte la complexité de l’homme et de la nature. Si l’avènement de cette éthique est subordonné au changement du regard vers l’homme en tant qu’être-pour-le-travail, l’auteur espère cependant qu’elle est adaptée à notre époque préparée surtout par les exploits de la science moderne.
Introduction
Le monde est en mutation, et d’aucuns parlent de l’ère de la mondialisation. Cependant il y a des critères d’après lesquels nous affirmons que le monde est entré dans l’époque de la mondialisation néolibérale. « Dans l’immense majorité des cas, il semble que le critère déterminant soit celui des transformations économiques »[2]. Celles-ci ont mis en déroute le système mondial ancien pour en créer un autre qui se présente, dans ses grandes lignes, de la manière suivante[3] : le système mis en vigueur après la seconde guerre mondiale est remplacé par un modèle à pôle unique ; il y a omniprésence et domination du capitalisme néolibéral ; on constate une mobilité croissante et un renforcement de l’emprise des entreprises transnationales, et ce, à travers des stratégies d’ajustement au niveau national, régional et international ; il y a, par ailleurs, prédominance du capital financier qui est de plus en plus mobile, décentré et transnational, et ce, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC en sigle) et aux changements intervenus en faveur du libre échange . Riccardo Petrella a soutenu, à sa façon, cette idée quand il écrivait que « (…) la mondialisation actuelle de l’économie, des marchés, des entreprises, des capitaux serait en train, de pair avec la « révolution technologique » liée, notamment, aux nouvelles technologies d’information et de communication, d’enterrer le XXe siècle et d’enfanter le troisième millénaire »[4].
En outre, on assiste à l’expansion générale de la production des entreprises transnationales et une grande partie du commerce international se fait au travers des firmes -multinationales ; l’on vit une mainmise des Etats-Unis (parfois contestée) sur les importantes institutions à vocation supranationales (ONU, BM, FMI, OMC) ; on constate visiblement l’échec à programmer et à mettre sur pied (que ce soit au niveau national, régional et international ) de nouvelles formes de souveraineté, d’organisation sociale et politique, etc.
A dire vrai, un « tournant de civilisation » (l’expression est d’Etienne Balibar) s’est opéré. Il a été provoqué par plusieurs éléments dont deux retiennent notre attention. « Le premier (…) est économique : c’est l’apparition des firmes multinationales dont la capacité financière excède celle de la plupart des Etats et qui acquièrent ainsi la possibilité de délocaliser et transporter leurs activités vers n’importe quelle région où les facteurs de production sont disponibles à des prix avantageux, avec pour contrepartie la constitution d’un seul système d’échange des capitaux et des monnaies, opérant « en temps réel » et reliant entre elles toutes les places financières du monde(…). Le second événement sans lequel (…) il n’y aurait pu être question de « mondialisation » (…), est l’effondrement du système socialiste soviétique, entraînant la fin de la « division du monde » en « camps antagonistes »[5].
On peut retenir trois critères pour parler de l’entrée dans l’époque historique de la mondialisation néolibérale, à savoir les critères économique, technologique (NTIC) et politique.
Nous trouvant dans une nouvelle ère, il est légitime de réfléchir sur la nouvelle éthique propre à cette situation épocale.
Dans le cadre de notre article, nous définirons, dans un premier temps, les concepts clés, à savoir Ethique, Travail et Mondialisation. Dans un second temps, nous nous appesantirons sur la mentalité de
1. Définition de l’appareil conceptuel
1.1. Ethique
Etymologiquement, Morale, du latin mos, et Ethique, du grec ethos, signifient mœurs, coutumes, etc. Ainsi, est-il difficile de distinguer les deux[6]. Cependant, à notre humble avis, nous pensons que Morale est plus obligatoire par rapport à Ethique qui est plus situationnelle et donc souple.
Nous définirons l’éthique, en nous inspirant de Foulquié et de Saint-Jean[7], comme cette réflexion cherchant à déterminer le sens de la vie humaine dans une situation ou un contexte donné. En outre, cette réflexion porte aussi sur les moyens à proposer afin d’atteindre le but. Comme on peut le deviner, il nous faut une éthique de l’ère de la mondialisation, une éthique qui tiendra compte des transformations multisectorielles provoquées par la mondialisation.
1.2. Travail[8]
Malgré l’évolution du sens du travail au cours des siècles, le concept travail est une catégorie anthropologique. C’est à cause de l’exploitation que le travail est devenu une catégorie économique. Catégorie anthropologique, le travail est propre à l’être humain. Seul l’homme travaille. Si ce concept est utilisé pour d’autres êtres comme les animaux et le bois, etc., cela relève de l’analogie.
A la suite de Karl Marx s’appropriant l’idée de Hegel, nous disons que le travail est « l’acte d’engendrement de l’homme par lui-même »[9]. Autrement dit, le travail est « l’activité par laquelle et dans laquelle l’homme en tant qu’homme, par son essence, et cela de telle manière que son devenir et son être existent pour lui, (…) se sait et se « considère » lui-même pour ce qu’il est (le devenir-pour-soi de l’homme) »[10]. Catégorie anthropologique, le travail est l’essence de l’homme. C’est par le travail que l’homme est différent de l’animal. Le travail est la manifestation de la personnalité de l’homme, l’objectivation de sa personnalité. Le travail est, en effet, le lieu spécifique où l’homme s’affirmer, où il déploie une activité physique et intellectuelle. Se distinguant de l’animal ou de tout être, par le travail, l’homme fait de son activité vitale elle-même l’objet de sa volonté et de sa conscience (…). L’activité vitale consciente distingue directement l’homme de l’activité vitale de l’animal »[11], précise Marx. En d’autres termes, et ce dans le sens plein du terme travail, l’homme ne produit pas d’une façon unilatérale. Son activité vitale est libre. Il ne travaille pas « sous l’empire du besoin physique immédiat »[12]. Même libéré du besoin physique, l’homme travaille.
Karl Marx affirme, et ce avec raison, que l’homme s’est arraché de son animalité première par le travail[13]. Cependant, il sied de faire remarquer que la mondialisation a transformé le sens du travail pour en faire une « marchandise ».
1.3. Essai de définition de la mondialisation néolibérale[14]
Du nouvel ordre mondial évoqué dans l’introduction, la mondialisation néolibérale ne peut être appréhendée que si elle est considérée comme « l’accroissement massif de l’interdépendance »[15]. En effet, et ce grâce à l’idéologie néolibérale, la mondialisation néolibérale se caractérise par plusieurs interdépendances dont quatre sont les plus importantes ou fondamentales.
Nous trouvant devant la suprématie du Marché, la première interdépendance de la mondialisation néolibérale est relative à la production. Cette interdépendance par les marchés relative à la production se traduit par la disparition des frontières géographiques et par l’abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires. Mues par la logique de la recherche d’un profit maximal, les firmes transnationales (FTN) font la délocalisation de leurs activités industrielles consistant en une séparation des lieux de production ou de transformation de certaines marchandises de leurs lieux de consommation. La délocalisation entraîne une décomposition internationale des processus productifs. « Chacun des segments est localisé dans des espaces différents, pour des raisons liées aux coûts de production, aux dimensions du marché, à des risques ou à des réglementations »[16]. Cette situation fera que certains travailleurs deviennent « nomades », car ils sont appelés à aller travailler partout et d’autres perdent leur emploi. Il y a la précarité du travail.
La deuxième interdépendance est relative aux échanges et au commerce. Cette interdépendance, en connexion avec la première, se caractérise, comme la première, par une décomposition internationale des processus productifs. Celle-ci « s’appuie sur un réseau de filiales ou de sous-traitants de filiales et le nomadisme de segments entiers des appareils de production selon la logique des avantages comparatifs »[17].
En outre, par les voyages et les médias, s’installe une croissance exponentielle des échanges d’idées, des produits et d’information. Cela entraîne une intégration mondiale facilitée par des changements de politiques visant à promouvoir l’efficience économique, et ce par l’instauration de la libéralisation et la déréglementation des marchés nationaux, par le désengagement de l’Etat de nombreuses activités économiques, par la restructuration de l’Etat providence et surtout par les innovations dans la technologie de l’information et de la communication. Ainsi, il y aura une nouvelle catégorie de travailleurs qui apparaîtra, au grand dam des travailleurs traditionnels, travailleurs dépassés par les nouvelles innovations.
La troisième interdépendance de la mondialisation néolibérale a trait aux marchés financiers. Elle procède « d’une interconnexion des places financières mondiales fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre grâce à la conjugaison de trois éléments que sont la déréglementation, le décloisonnement des marchés et la désintermédiation »[18]. C’est ici que l’on parle de 3D. La déréglementation abolit les réglementations du marché de change et, ainsi, facilite-t-elle la circulation du capital. Le décloisonnement supprime certains compartiments des marchés et la désintermédiation permet aux entreprises et aux Etats de ne plus passer par les intermédiaires financiers et bancaires quand il leur faut effectuer des opérations de placement et d’emprunt aux marchés financiers afin de satisfaire leur besoin de financement. Y. Crozet et ses collaborateurs font remarquer que la globalisation financière a un élan irrésistible suite à cinq éléments : « La marchéisation des financements, la désintégration, le décloisonnement et la déréglementation financière, la gestion de la dette publique, le caractère spéculatif des placements et le réinvestissement des profits des filiales des FMN [firmes multinationales] »[19].
Insistons sur un fait propre à cette globalisation financière : son caractère spéculatif des placements. « Les entreprises, lorsque leur situation financière le leur permet, préfèrent (…) les placements financiers, plus rémunérateurs que l’investissement productif qui pâtit d’une double incertitude : la faible progression de la demande dans un contexte où les ménages et les Etats consacrent une part croissante de leurs revenus au règlement des intérêts de leurs dettes, [et] l’ajournement des profits escomptés et leur faible ampleur face à des placements financiers immédiatement rémunérateurs »[20].
Retenons, par ailleurs, que dans la globalisation financière, il y a des opérations financières et des transactions papiers qui prennent une grande ampleur par rapport aux opérations physiques. Voilà qui modifie les rapports sociaux de production.
La quatrième interdépendance de la mondialisation néolibérale est relative aux technologies de l’information et de la communication. Cette interdépendance par les nouvelles technologies de l’information et de la communication favorise, avec les transferts, la mobilité et la flexibilité des capitaux, des biens, des services et des personnes . En effet, les NTIC déclenchent « une explosion des activités économiques, recomposent les territoires industriels et de la planète. Ce sont elles qui font précisément du monde un village planétaire. Des milliers de kilomètres de fibre optique se croisent en permanence et relient des continents. Et 24 heures sur 24, des contrats, des transactions, des informations de toutes sortes traversent les fuseaux horaires, les frontières et les cultures. Les nouvelles routes commerciales sont des éclats de laser et des rayons de satellites. Les marchandises transportées sont le savoir et la technologie[21].
Il va sans dire que nous vivons dans une époque où il y a un essor inéluctable des services au détriment de l’industrie, où la modification des notions d’espace et de temps est évidente, car « les moyens modernes de communication ont supprimé les distances, qu’il s’agisse de se déplacer ou de communiquer »[22] .
Cette mondialisation néolibérale, donc économique et financière, transformera, sur son passage, le rôle des Etats, le social et le culturel [23]. Tout ceci joue sur la conception du travail.
Pour devenir réellement un phénomène global, la mondialisation néolibérale a ses propres acteurs[24]. Parmi ses grands acteurs, nous retiendrons les Etats, les FTN et les Institutions internationales (FMI, BM, OMC). Tous ces acteurs sont des éléments de la propagation de la mondialisation néolibérale « dans la mesure où intervenant sur une partie du monde ou dans le monde entier, [ils] dialoguent avec les Etats, les combattent parfois, agissent sur les opinions publiques, et par leurs interventions contribuent à l’échange généralisé, qui est l’essence de la mondialisation »[25].
Nous pouvons, à présent, nous résumer en disant avec Mbaya Kankwende que « le phénomène de la mondialisation [néolibérale] recouvre à la fois une réalité à savoir la globalisation de la production et des échanges économiques et non économiques, mais aussi une idéologie et un projet normatif à réaliser. En tant que réalité, il désigne le processus d’élargissement et d’intensification des flux marchands, financiers et d’informations à l’intérieur d’un marché de plus en plus mondial, unique et intégré. En tant qu’idéologie, il prescrit la plus grande libéralisation possible des marchés nationaux et mondiaux avec le postulat que la libre circulation des biens et services, des capitaux et de l’information produira un résultat optimal en terme de croissance économique et de bien-être humain»[26].
L’on remarquera que, pour nous, les concepts mondialisation et globalisation ont la même teneur et que nous nous sommes accroché à la mondialisation néolibérale.
2. Mentalité de la postmodernité et transformation du sens du travail
2.1. Postmodernité versus modernité sur le sens du travail
Le Postmodernité est à la fois une époque et une culture de la mondialisation[27].
Opposée à
La mentalité postmoderniste s’oppose à la mentalité moderniste. Cette dernière faisait du travail un devoir, une valeur en soi, une fin en soi. Ainsi, le travail était-il un moyen (travailler pour vivre) et une finalité (vivre pour travailler). Ceci étant, l’on ne peut jamais s’étonner que l’on devait juste effectuer son travail, peu importe en quoi il consistait et dans cette mentalité la souffrance était même assez noble. Le travail, dans la modernité, faisait partie de l’identité de l’individu (« Je suis tel parce que je travaille à tel endroit ») et de sa stabilité. De ce fait, le nomadisme n’était pas provoqué par le travail.
Avec la mentalité postmoderne renforcée par la culture de la publicité et de la consommation, le sens du travail a changé et cela entraîne le changement de la conception de la vie.
Voilà pourquoi la vraie vie est à chercher ailleurs et ce après le travail. Elle est dans le loisir, les plaisirs quotidiens. Ou mieux elle se situe dans la consommation lorsqu’on est affalé sur le canapé devant la télévision. Cela pousse le travailleur de la postmodernité à multiplier les pont[30]s, à ménager des horaires flexibles (afin d’être partout à la fois, le temps[31] du travail. Tout cela est fait en vue de gagner de la vie en temps libre.
De ce qui précède, nous dirons avec S. Carfantan que « l’hédonisme postmoderne dit qu’on ne profitera de la vie qu’en dehors du travail »[32]. Et si on travaille, c’est tout juste pour gagner de l’argent afin de tout avoir et ce pour profiter de la vie. L’incantation de la publicité est là pour exciter cette passion de l’argent et pour harceler le consommateur.
2.2. Condition pour une nouvelle éthique
Pour proposer une nouvelle éthique du travail à l’ère de la mondialisation, une condition s’impose : changer notre attitude à l’égard du travail lui-même. Ce dernier doit être considéré comme quelque chose très intéressant, grâce auquel on peut se réaliser et créer quelque chose qui a une valeur sociale. Ainsi, le travail sera-t-il exécuté avec passion et avec plaisir, vue comme un jeu, considéré comme un lieu de rapports sociaux d’échange, de partage et d’humanisation.
Cette condition proposée nous invite à rejeter les anciens préjugés du travail et à avoir une nouvelle vision du travail.
Voici le tableau résumant l’idée de changement d’attitude à l’égard du travail.
Anciens préjugés sur le travail |
Nouvelle vision du travail |
Les enfants jouent, les adultes travaillent, le travail est ce qui fait de vous un adulte. La vie n'est pas un jeu. |
Seule une conscience lucide nous rend adulte, ce n’est pas une question de travail ou de jeu. Le travail est une activité productrice, le jeu une activité libre. On peut aussi travailler en se jouant : librement. |
Le travail est chose que l’on doit chercher hors de soi dans le monde, qui nécessite une lutte constante, la lutte pour la vie. |
Le travail est une chose que l’on devrait chercher d’abord en soi-même, qui devrait être un déploiement d’énergie et de créativité et non une lutte. |
Le travail, c’est le sérieux, c’est ce qui fait vivre la famille, le reste n'est pas important. |
Le travail peut être fait avec sérieux, comme toute activité et il doit aussi contribuer à la satisfaction des besoins. |
le travail se fait seulement loin de chez soi, à l’usine, au bureau, au magasin. A la maison, c’est seulement le loisir pour compenser le travail |
On peut aussi travailler chez soi, il n’y a pas de coupure lieu du travail/maison, c’est une question de conscience professionnelle que l’on peut investir n’importe où. (cf. télétravail?) |
La mère travaille à la maison, mais ce n’est pas un travail. |
La mère au foyer travaille autant que le père au bureau et on lui doit une reconnaissance entière du labeur qu’elle fournit. Le travail ne se mesure pas seulement à un salaire. |
Le travail est une chose que l’on n’est pas censé aimer, mais qu'il faut supporter. |
On ne devrait aimer ce que l’on fait où faire autre chose. On ne fait bien que ce que l’on aime faire. Cependant, il est vrai que dans la nécessité les hommes sont parfois conduits à exercer un travail qu'ils n'aiment pas. |
les gens qui ne travaillent pas sont, soit très riches ou soit très pauvres. |
Dilemme simpliste. L'aisance n'implique pas nécessairement l'oisiveté. L'absence de travail n’a rien d’anormal, elle devrait être une possibilité admise, même s'il est vrai que l'homme s'accomplit davantage dans le travail qu'en dehors. |
Les pauvres qui ne veulent pas travailler sont des paresseux méprisables. |
La pauvreté n’est pas toujours rattrapée par le travail, l’absence de travail n’enlève pas la dignité que l’on doit à l’être humain. |
Perdre son travail est la plus grande honte qui puisse nous arriver, car il faut demander la charité et les gens vous considèrent comme un parasite. |
Perdre son travail ne constitue pas une honte, mais un nouveau défi à relever. Changer de travail est normal dans le monde actuel. Il faut rejeter ce préjugé social qui nous porte à mépriser l'homme sans travail. |
Source : S. Carfantan.
Ce tableau met l’accent sur l'importance d'un changement de conscience à l’égard du travail.
3. Nouvelle éthique du travail à l’ère de la mondialisation
Notre nouvelle éthique du travail se base sur certains principes que nous formulons en ces termes :
Le principe d’inclusion ;
La fraternité : « Nous sommes tous fils de la terre et nous avons un même destin de perdition ou de vie » ;
L’homme et la nature sont la mesure de toute action ;
Reconnaissance de l’autre : avoir le souci de rendre l’autre heureux afin de l’être soi-même ;
Equité entre les personnes engagées dans le travail, car l’une a toujours besoin de l’autre.
Ces quelques principes sont énoncés à partir d’une certaine anthropologie philosophique où l’homme et la nature sont qu centre.
De Woot et Delcourt nous apprennent que « l’éthique [est une] inquiétude (…). L’inquiétude devrait être au cœur ce que le doute est à l’intelligence »[33]. Inquiétude, cette éthique doit lever ses défis pour que tous les travailleurs du monde se sentent réellement frères et sœurs et membres d’une même communauté ou habitants d’un même village planétaire. C’est la seule condition pour affirmer la dignité de la personne humaine, la solidarité des travailleurs et la sauvegarde de la nature.
Nous prônons une éthique où l’homme et la nature sont au centre et pris comme les valeurs des valeurs et devant eux un impératif moral s’impose toutes les fois que l’on doit poser des actes, il faut se demander si l’acte réalisé pour servir l’homme et pour sauvegarder la nature. Cette façon d’agir est, pour nous, comme l’aiguille de la boussole.
Cela étant, le défi humanitaire que cette éthique doit lever consistera à sortir de la logique qui réduit l’homme à « la dimension d’un patrimoine à faire fructifier : moins que l’individu, simple atome de société cher à l’économie libérale ; et encore moins que la personne porteuse de valeurs –aspiration à plus de justice et de solidarité – qui donne sens à sa vie. Les valeurs qui conduisent à modérer les appétits, sont une entrave pour l’économie de cupidité »[34]. L’homme n’est pas à réduire à une dimension marchande. De ce fait, l’homme, comme valeur, interdit de faire la poursuite du gain une valeur socioculturelle suprême. En d’autres termes, l’homme ne pèse pas la somme de son argent, ou mieux l’argent n’est pas la mesure de l’homme. C’est le contraire qu’il faut affirmer.
Valeur suprême, l’homme travailleur voudrait découvrir dans la technologie un instrument de la réalisation de la proximité humaine et non une occasion de rupture humaine. C’est dans cet ordre d’idées que la machine relevant l’homme doit être à la source de son bonheur et non une occasion d’un chômage et d’exclusion sociale.
Ainsi, notre éthique interdit-elle de faire de l’homme ou de la personne une « ressource humaine ». Cette expression est en vogue et il est rare que les intellectuels la remettent en question. Si l’homme devient une « ressource humaine » dans ce monde néolibéral, alors son existence est « fonction du degré d’utilité (employabilité et rendement) pour le capital. Tant qu’une « ressource humaine » est utile à la production de richesses, elle aura droit à un revenu et à une responsabilité sociale. Ces « droits » lui sont enlevés dès qu’elle devient moins rentable (ne fût-ce que par rapport à une « ressource humaine » d’un autre pays ». Devenu ressource humaine, l’homme n’est plus « un sujet social ayant des droits, des envies, des besoins. [Il] n’est plus qu’un coût pour l’entreprise à comparer aux autres ressources de l’entreprise selon les critères d’efficacité et de performance (en termes de rentabilité, de profit) fixés et évalués par ceux qui ont le pouvoir de direction et de contrôle de l’activité de production ». Riccardo Petrella attire notre attention sur cette expression consacrée dans le monde néolibéral et contre ce défi, il propose une solution comportant, entre autres, « une redéfinition générale des finalités et des principes d’organisation du système d’éducation et de formation. Elle implique une réappropriation du statut de personne en opposition à la réification de l’humain et du social opérée par nos sociétés « développées » à travers la technologisation et la marchandisation de la condition humaine ». Ainsi, évitera-t-il la marchandisation qui attribue à toute expression humaine une valeur économique. Cette marchandisation est à la base des dévastations socio-économiques.
En outre, cette éthique, dans son impératif moral, fait saisir l’homme travailleur comme microcosme dans un macrocosme qui est la nature. Voilà pourquoi cette dernière est à sauver contre le « Terminator » Marché. La nature est saccagée par la course productiviste. D’où la déforestation croissante de l’état environnemental de notre planète, le changement climatique dont les catastrophes naturelles (Tsunami, en Inde, Catherina aux USA, etc.), la pollution des mers et de
Voilà pourquoi, contre ce fléau, Riccardo Petrella réclame une « narration alternative » où la sécurité de vie pour tous est la vraie richesse du monde. Ici nous pensons à la sécurité contre les catastrophes « naturelles » créées par l’homme.
Cette éthique, comme celle de Kant, fait appel à
Conclusion
De ce qui précède, nous savons que nous ne cherchons pas dans le travail un moyen de gagner de l’argent. A dire vrai, c’est la réalisation de soi qui est recherchée. Celle-ci engendre la jouissance entière de
Une fois le vrai sens du travail bien compris, nous dirons que nous ne travaillons pas pour avoir, mais surtout pour être et nous sentir être davantage. C’est la raison pour laquelle le travail peut nous procurer de la joie. Il ne s’agit donc pas seulement de chercher à gagner sa vie tout en la perdant et on la perd toutes les fois que le travail est une catégorie économique. La seule nécessitée devant pousser l’homme à travailler, est celle de s’accomplir en tant qu’être humain. Le travail, comme toute autre activité, est une forme d’expansion de la conscience, une jouissance et conquête de soi.
Cela étant, l’éthique humano-écologique est celle qui convient à l’ère de la mondialisation, car elle met au centre l’homme et l’environnement et se base sur des présupposés anthropologiques humanistes.
[1] Docteur en philosophie, Abbé Louis Mpala est enseignant à l’Université de Lubumbashi et il est aussi Directeur du Centre Universitaire de Kasumbalesa, Extension de l’Université de Lubumbashi.
[2] BALIBAR, E., Frontières du monde, frontières de la politique, dans DELBACCIO, M. et PELLOILE, B. (dir), Du cosmopolitisme, Paris, L’Harmattan 2000, p.182.
[3] Cf. MARAIS, H., L’intégration régionale en Afrique australe, dans AMIN, S. (dir), Afrique. Exclusion programmée ou renaissance, Paris, Maisonneuve et Larose, 2005, p.178-179.
[4]PETRELLA, R., Ecueils de la mondialisation. Urgence d’un nouveau contrat social, Montréal/Québec, Editions Fides/ Musée de la civilisation ,1997, p.7.
[5] BALIBAR, E., a.c., p.184.
[6] Cf. VAN PARYS, J.-M., Petite introduction à l’éthique, Kinshasa, Loyola, 1991, p.13-21.
[7] Cf. FOULQUIE, P. et RAYMOND, S.-J., Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, P.U.F., 1962.
[8] Cf. MPALA Mbabula, L., La conception du travail chez Karl Marx, préface critique du professeur Tom Rockmore, Lubumbashi, Ed. Mpala, 2002.
[9] MARX, K., Manuscrits de 1844 (économie politique et philosophie). Présentation, traduction et notes de Emile Bottigelli, Paris, Editions Sociales, 1968, p.144.
[10] MARCUSE, H., Philosophie et révolution, Paris, Danoel,1969, p.60.
[11] MARX, K., o.c.,p.63.
[12] Ib., p.63-64.
[13] Cf. MARX, K., Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre I : Le procès de production : chapitre 5, Paris, Ed. Sociales, 1993.
[14] Nous ne sommes pas sans savoir que beaucoup d’auteurs ont écrit sur la mondialisation. Cependant notre essai de définition a la particularité de présenter la mondialisation néolibérale en partant des préalables l’inscrivant dans le champ de la philosophie de l’histoire. Sur ce sujet Jacques Adda ( La mondialisation de l’économie , Tome I : genèse, 4e édition, Paris,
[15] DE MONTBRIAL T., Perspectives à la fin du millénaire, dans DE MONTRBRIAL T. et Jacquet, P. (dir), Rames, Paris, Dunod, 2001, p.13. [15] MARCUSE, H., Philosophie et révolution, Paris, Danoel,1969, p.60.
[16]MOUSTAPHA Kassé, Consultation sur la dimension sociale de la mondialisation, BIT/CODESRIA (27 août 2002, Hôtel Savana Dakar) [en ligne] http : // www. ilo.org/public/english/wcdg/docs/kassé. pdf (page consultée le 29/06/2005).
[17] Ib .C’est à ce niveau que d’aucuns parlent de
[18] Ib. Nous soulignons. Cette interdépendance est connue sous le nom de Globalisation financière, signifiant « interconnexion des divers marchés des capitaux à l’aide des techniques informatiques autorisant le déplacement instantané des capitaux » (CROZET, Y. et alii, o.c. , p 138).
[20] Ib., p.147.
[21] MOUSTAPHA Kassé, a.c
[22]. BONOFACE, P., Le monde contemporain : grandes lignes de partage, Paris, P.U.F., 2001, p.11.
[23] Nous reviendrons sur ces transformations quand nous aborderons les critiques que l’Altermondialisme adresse à la mondialisation néolibérale
[24] Nous appelons Acteur, celui qui est doté de la capacité d’élaborer, d’exprimer et de traduire en acte des intentions.
[25] DOLL FUS, O., La mondialisation, Paris, Presses de
[26] MBAYA Kankwende, Mondialisation, défis économiques et régionalisation en Afrique, dans CENTRE TRICONTINENTAL, Et si l‘Afrique refusait le marché ?, Louvain-la-Neuve, 2001, p. 50. Nous soulignons.
[27]Notre thèse de doctorat en philosophie (Matérialisme historique, Altermondialisme et utopies postmodernistes. Contribution à la philosophie de l’histoire, Unilu, juillet 2006) en parle amplement.
[28] CARFANTAN, S., a.c.
[29] Ib.
[30] Le concept de pont est propre à
[31]
C’est à ce niveau que le propos portant sur la crise du sens de l’histoire dans la postmodernité s’avère pertinent ( BESSE, J.-M. et BOISSIERE, A., Précis de philosophie, Paris, Nathan, 1996).
[32] S. CARFANTAN, a.c.
[33] DE WOOT, P. et DELCOURT, J., Finalité du développement. Valeurs chrétiennes, dans DELCOURT, J. et DE WOOT, P. (dir), Les défis de la mondialisation. Babel ou Pentecôte, Louvain, 2001, p.627.
[34] PASSET, R., Nous sommes tous « mondialisés », [en ligne]http://www.attac.org/fra/asso/doc/doc1001.htm (page consultée le 17/O6/2005).