Je pense qu’à ce niveau Badiou avait oublié l’assertion de son maître Althusser avec qui ils ont instauré les cours de philosophie pour scientifiques en 1967 : « La philosophie ne connaît pas la science ou les sciences que pour les soumettre à une exploitation apologétique servant des valeurs extrascientifiques »[1] . Il y a un état de soumission et d’exploitation de la  mathématique. Ce motif valait-il la peine de réintriquer la philosophie et la mathématique ? Althusser aurait raison de dire que les philosophes se cassent la figure et que depuis Thalès, tous les philosophes tombent dans les puits. Et une des façons de se c casser la figure est « l’énergie avec la quelle Badiou marque l’ignorance des mathématiciens sur ce qu’ils font »[2] . Les mathématiciens sont-ils les MM.Jourdain de la philosophie ? Avec quel statut, Badiou le dit-il ? Que chacun s’occupe des ses affaires et les vaches seront bien gardées. Qu’il fasse de la mathématique une précondition de la philosophie, cela ne fait pas du mathématicien un philosophe. J’accepte seulement, à la suite de Louis Althusser, que le mathématicien a une philosophie spontanée qui n’est pas à confondre à la mathématique. Par ailleurs, il ne suffit pas d’utiliser le vocabulaire mathématique, par la magie du transfert ou placage, pour que les concepts gardent la même acception. Je ne sais pas si l’infini mathématique a quelque chose à avoir avec l’un ou Dieu. Je me demande si la mathématique fait penser à l’être. Je m’interroge si le multiple des multiples ou le multiple pur équivaut en mathématique au vide. Je ne suis pas mathématicien mais je me pose ces questions ; j’ai l’impression que Badiou fait la confusion des genres ou des domaines, et ne peut marcher avec lui que celui qui a accepté de faire « la réforme de l’entendement » (l’expression est de Desanti[3]). Mais quand on essaie d’être un lecteur attentif, on voit que l’arrière-fond détermine la passion spéculative de Badiou et le contraint à exploiter la mathématique.


[1] Ib., p.265.
[2] F. WAHL, Préface , dans A. BADIOU, Conditions, p.43.
[3] Z.T. DESANTI, Quelques remarques à propos de l’ontologie intrinsèque d’Alain Badiou, dans Les Temps modernes N° 526 (mai 1990), p.62.

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